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qui, sous les ordres du général Groeben, tient tout le cours de la Lahn, et s’avance au nord-est par Wetzlar jusqu’à Paderborn, dans le voisinage immédiat de Cassel. Il est possible que les Prussiens soient déjà maintenant sur le territoire électoral. Les armées du midi n’ont pas accompli de moindres mouvemens. Toutes les forces disponibles de la Bavière ont été dirigées sur la ligne du Mein ; c’est à peine s’il est resté la garnison ordinaire de Munich. Bamberg est approvisionné pour trois mois. Les Wurtembergeois flanquent à gauche et soutiennent en arrière l’armée bavaroise, pendant que de gros corps autrichiens sont massés à droite sur les frontières de la Bohême et prêts à les franchir. L’Allemagne va-t-elle donc décidément expier ses folies unitaires par une guerre fratricide ? La Prusse reculera-t-elle au dernier moment devant l’Autriche ? Trouvera-t-on un compromis honorable, ou faudra-t-il que le sang coule ?

Le vrai malheur de l’Allemagne, c’est que ce soit au congrès de Varsovie, sous la haute influence du czar Nicolas, qu’il faille maintenant traiter ces questions suprêmes. Le congrès de Varsovie a succédé trop tôt au congrès de Bregenz ; c’est un fâcheux revers de médaille. Tout à Bregenz avait pris une allure presque chevaleresque. Le vieux roi de Wurtemberg renouvelait solennellement son serment de foi et hommage au jeune césar autrichien ; il jurait de combattre pour son empereur. Son langage ressemblait, ou peu s’en faut, à celui qu’aurait pu tenir le vassal d’un Barberousse, et toute cette pompe poétique s’en va maintenant se traduire à Varsovie sous une forme plus humble, dans des réunions où la Russie décidera, selon son intérêt, de la paix ou de la guerre. La Russie remplit ainsi « sa sainte mission, » selon le mot de l’empereur ; elle gagne vers l’ouest « comme une mer, » selon la prédiction de Pierre-le-Grand, et, par une rencontre extraordinaire dans l’histoire, elle gagne sans conquérir, sans le secours des armes, qu’elle emploierait peut-être plus difficilement qu’on ne pense ; elle s’agrandit par la faiblesse même, par les divisions de ses voisins.

Nous ne croyons pas que la Russie pousse maintenant à la guerre ses protégés allemands. Si elle avait voulu la guerre, il y a long-temps que les impatiences soulevées dans le cœur du czar par les irrésolutions du roi de Prusse, Son beau-frère, auraient déterminé la rupture. Il est vrai que les pieux égards du czar pour l’impératrice ont pu l’empêcher de se livrer jusqu’ici à ses ressentimens contre un prince qui la touche de si près ; mais il n’en est pas moins certain que la politique moscovite appréhenderait d’allumer en Allemagne un incendie dont les résultats seraient incalculables, et dont les étincelles pourraient bien voler au-delà de la Vistule. Si la Russie ferme ses frontières avec tant de vigilance par un triple cordon de douanes et de soldats, c’est qu’elle a plus sujet qu’on ne croit de redouter la contagion des idées de l’Occident. Toute lutte ouverte qui durerait quelque temps, non pas seulement en Allemagne, mais en Europe, serait un foyer où chaufferaient tous les anciens élémens de désordre, pour rayonner par tout de plus belle.

La Prusse est néanmoins acculée à une situation si fausse, que l’on ne pourrait dire jusqu’à quel point la pusillanimité l’emportera dans ses conseils sur la honte de se rendre. Cette rivalité avec l’Autriche, qui a pu n’être d’abord qu’un jeu diplomatique, a fini par piquer les joueurs au vif : c’est comme une