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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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31 octobre 1850.

L’heure la plus cruelle dans la vie d’un peuple en révolution, ce n’est pas quand il faut descendre sur le pavé des rues pour y jouer à coups de fusil l’existence du lendemain. Ces crises-là ne durent pas : ou l’on y succombe tout de suite, ou l’on en sort avec le sentiment exalté d’une puissance acquise. On a dans les veines un sang échauffé par la fièvre du combat, et l’on s’estime à tout jamais le vainqueur qu’on est au jour de la victoire. On s’est sauvé soi et son pays par la force, et sur le moment l’on ne peut guère se défendre de cet orgueil qu’il y a naturellement au fond de la force triomphante. Oui, ces jours de lutte sont encore acceptables, parce que, dans l’élan avec lequel on les traverse, on oublie ceux qui les suivront ; mais c’est justement pour ceux qui suivent qu’on a besoin de tout son courage. L’emploi de la force, fût-ce au profit d’une bonne cause, a, par nécessité, cela de regrettable, qu’il crée des situations violentes dont on ne peut avoir contracté quelque temps l’habitude sans perdre le secret, sinon le goût de tout ordre pacifique et régulier. La force devient petit à petit dans l’opinion le remède universel, le seul moyen de résoudre tous les problèmes politiques. Tel est cependant l’empire de la civilisation sur la société, que, même en se résignant trop facilement à rentrer sous ce régime barbare de la force, elle s’obstine toujours à le considérer comme une épreuve transitoire, comme un rude et court passage vers un avenir plus normal, vers une règle définitive et respectée. Bien mieux, la société aspire si vivement à reprendre possession d’un état plus digne des lumières et des mœurs dont elle se vante, que, pour peu qu’elle ait le temps de faire une halte dans ce chemin étroit où elle marche sous la verge, l’illusion lui vient aussitôt, et elle se persuade que la verge s’est écartée de ses épaules. Ne lui reprochons pas de s’abuser ainsi trop vite ; aidons-la plutôt à se bercer de cette illusion consolante. Croire avant le temps que la loi et la paix ont déjà reparu, c’est contribuer à