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qui mérite ce nom pompeux. Si la victoire de Cérizolles est la revanche de Pavie, la revanche s’est fait long-temps attendre, car elle n’a été prise par la France que dix-neuf ans après la défaite. Serait-ce d’aventure le traité de Cambrai qui mériterait le nom de revanche ? Ce traité, signé par Louise de Savoie, Marguerite de Navarre et Marguerite d’Autriche, est une tache dans la vie de François Ier, car il abandonnait, pour obtenir la paix, tous les alliés qui s’étaient compromis pour lui. Les auteurs de la comédie nouvelle ne s’arrêtent pas devant ces misérables objections. Ils ne s’inquiètent ni de la victoire de Cérizolles, ni de la paix de Cambrai. C’est dans le traité de Madrid qu’ils voient, qu’ils veulent voir la revanche de Pavie ; et, pour justifier le litre qu’ils ont choisi, ils mettent sur le compte de Marguerite de Navarre la délivrance de François Ier, qu’elle n’a pourtant pas obtenue. Ils suppriment d’un trait de plume les trois négociateurs que Louise de Savoie avait envoyés en Espagne avant sa fille, qui avaient commencé la tâche poursuivie plus tard par Marguerite, et qui s’est achevée après son départ. Ils ont espéré, par cette omission, accroître l’importance politique de la duchesse d’Alençon, et je serais très disposé à leur pardonner le parti qu’ils ont adopté ; s’ils l’avaient suivi plus franchement. Je ne tiens pas à voir en scène l’archevêque d’Embrun ou le président du parlement de Paris ; mais, si l’on raie de la liste des personnages les négociateurs qui ont assisté Marguerite dans ses démarches auprès de Charles-Quint, il faut au moins donner à Marguerite quelques-unes des facultés qui caractérisent l’homme d’état, et les auteurs de la comédie nouvelle ne paraissent pas y avoir songé.

À Dieu ne plaise que je demande aux poètes dramatiques de suivre pas à pas l’histoire ! Qu’il s’agisse d’une action sérieuse ou comique, il faut laisser à la fantaisie la liberté d’interpréter les événemens et les personnages. Seulement l’interprétation, pour être avouée par le goût, par le bon sens, doit respecter la réalité ; il n’y a pas de commentaire possible sur un texte effacé. Or, je crois pouvoir démontrer facilement que les auteurs de la comédie nouvelle ont fait une part beaucoup trop large à la fantaisie ; il n’ont pas interprété le traité de Madrid, ils l’ont dénaturé.

Les personnages de la comédie nouvelle n’ont absolument rien à. démêler avec l’histoire. Si jamais la faculté d’inventer s’est librement exercée, c’est à coup sûr dans cette œuvre Malheureusement, ce que l’histoire a perdu, la poésie ne l’a pas gagné. Si la réalité a été méconnue, foulée aux pieds, traitée avec un mépris superbe, la fantaisie, en déployant ses ailes dans un espace indéfini, n’a pas effacé de la mémoire des auditeurs cette chose prosaïque et vulgaire qui s’appelle l’histoire. Charles-Quint, à parler franchement, est une espèce de moyenne proportionnelle entre le don Quexada de Don Juan d’Autriche