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cou. » Le roi écrit en marge du rapport : « Je ne doute pas que ce ne soit ainsi, et cela me paraît évident en considérant les habitudes et les idées des Arabes. Je reconnais donc d’abord l’équité et même le devoir de remettre la peine capitale. Quant à la peine que la commutation doit y substituer, mon opinion diffère un peu de celle que mes deux excellens ministres me présentent. Je crois qu’elle doit être sévère, mais qu’il faut prendre garde que cette sévérité ne soit outrée, et que le degré adopté ne puisse être l’objet d’un blâme consciencieux. Aussi j’admets les travaux forcés, mais en limitant le terme à dix ans, au lieu de celui de vingt, qui me parait hors de toute proportion avec les diverses exigences du cas. J’ajouterai en outre le vœu que, si la conduite de ce condamné dans le bagne le comporte, il me soit proposé, au bout d’un an, une commutation de la peine en celle d’une année d’emprisonnement, après laquelle, si rien ne s’y oppose, il sera rendu à ses pénates et à son pèlerinage de la Mecque, qui, je n’en doute pas, avait été son véritable but. »

Non content d’avoir si largement étendu l’exercice du droit de grace, le roi, lorsqu’il avait dû sanctionner les arrêts de la justice, soumettait encore sa conscience à une dernière et solennelle épreuve : le hasard m’en a fait le confident. Un soir ou plutôt une nuit, à cette heure avancée qu’il consacrait aux affaires les plus graves, j’entrai sans être annoncé, sans être entendu, dans le cabinet du roi. Louis-Philippe était penché sur un cahier dont plusieurs pages étaient déjà chargées de son écriture. J’avais entendu dire plus d’une fois au roi que la résolution de 1830 et les soins du gouvernement avaient complètement interrompu la rédaction de ses mémoires ; ma première pensée fut qu’il avait repris l’histoire de cette vie si variée et si dramatique. Je ne pus m’empêcher d’adresser au roi, qui venait de m’apercevoir, une question respectueuse. « - Mon Dieu, non, me dit-il ; vous me trouvez occupé d’un travail bien plus triste ; sur ce cahier que vous voyez, j’enregistre les noms des criminels condamnés à la peine de mort, de ceux que mon droit de grace n’a pu protéger contre le cri de ma conscience ou les décisions de mon cabinet. J’y inscris le fait, les circonstances principales, les avis divers des magistrats, l’opinion de mon conseil, quand il a délibéré. J’y expose les motifs impérieux qui ne m’ont pas permis de faire grace, chaque fois que ma prérogative laisse à la justice son libre cours. J’ai besoin de me justifier à mes propres yeux et de me convaincre moi-même que je n’ai pu faire autrement. De là cette dernière et douloureuse épreuve à laquelle je soumets mon ame ; je veux que mes fils sachent quel cas j’ai fait, quel cas ils doivent faire de la vie des hommes. Parce qu’on dit vulgairement le droit de grace, je n’ai jamais cru que la clémence fût seulement un droit ; c’est