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dans le garde des sceaux une résistance persistante, il exigeait que la discussion fût portée au conseil des ministres. Par ses ordres, le conseil a toujours délibéré sur les arrêts qui frappaient ses assassins. Dans l’un et l’autre cas, il ne cédait qu’à la dernière extrémité devant une délibération solennelle et unanime de ses ministres ; encore fallait-il que la délibération s’accordât avec le cri de sa conscience. Du reste, personne ne peut avoir la prétention de peindre Louis-Philippe mieux qu’il ne se peignait par ses paroles et par ses actes. Laissons-le donc parler et résumer lui-même les combats qui se livraient alors dans son ame.

Le 8 juillet 1836, en sanctionnant la sentence de la cour des pairs qui condamnait Alibaud à la peine capitale, il écrivait de sa main : « Le droit de remettre ou de commuer les peines infligées par l’application des lois n’étant dans mes mains qu’un dépôt sacré dont je ne dois faire usage que pour le bien général et l’intérêt de l’état, ce serait méconnaître mon devoir et le cri de ma conscience que de l’exercer pour mon avantage personnel ou la satisfaction de mon cœur. Je reconnais donc le pénible devoir que m’impose l’arrêt de la cour des pairs, et j’ai seulement voulu me donner la consolation de déclarer que je ne suis mû que par ce sentiment, et que j’aurais regardé comme un beau jour dans ma vie celui où j’aurais pu exercer le droit de grace envers l’homme qui a tiré sur moi. »

De nombreuses notes et des décisions développées, toutes de la main du roi Louis-Philippe, indépendamment de sa correspondance particulière avec les divers gardes des sceaux, témoignent de ses religieux scrupules. On en peut suivre les traces dans deux affaires criminelles.

Un sieur Ripon avait été condamné pour crime d’incendie à la peine de mort par la cour d’assises de la Creuse le 1er août 1844. Dans un rapport adressé au roi, le garde des sceaux proposait l’exécution de l’arrêt ; le ministre appuyait son opinion sur un rapport du président des assises. Le magistrat disait que « l’exécution de la sentence satisferait à deux considérations puissantes, l’intérêt social et la destruction de ce préjugé, trop commun dans les campagnes, que la peine de mort est supprimée. » En marge du rapport et à côté de ce passage, le roi écrivit : « Cet argument, tiré de l’opinion de la suppression de la peine de mort, me paraît absurde, vu le nombre douloureux des exécutions qui ont lieu continuellement ; mais je remarque qu’on le reproduit à chaque fois qu’on croit devoir insister sur une exécution capitale. » Cette note peint fidèlement la disposition d’esprit que Louis-Philippe apportait à l’examen des affaires criminelles sur lesquelles il avait à se prononcer. Le roi se révolte contre l’argument opposé à sa clémence ; sa généreuse impatience de toute contradiction éclate