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là, pour le roi des Français comme autrefois Callot pour Richelieu, Biagetti pour Napoléon, M. Siméon Fort retraçait, dans des plans topographiques dessinés à vol d’oiseau, toute une campagne militaire ; là M. Gudin devait reproduire l’histoire entière de la marine française, si glorieuse jusque dans ses revers ; là enfin, plus qu’en tout autre lieu, il était loisible à l’observateur de saisir sur le fait cette passion de la vérité historique qui ne permettait jamais que le fond fût sacrifié à la forme.

En 1845, le roi avait donné pour programme à M. Couder la fédération de 1790. Le peintre avait choisi pour théâtre de son action les abords de la grande estrade où le roi Louis XVI et l’assemblée nationale avaient pris place en face de l’autel de la patrie. Autour de cette estrade s’agitait une foule qui semblait vouloir se précipiter vers l’autel, prête à jurer de mourir pour cette patrie, divinité favorite de l’emphase révolutionnaire ; là se pressaient, non loin des membres de l’assemblée nationale, des hommes, des femmes, des citoyens de toutes les classes, de costumes et de lieux divers : c’était un grand effet tiré d’un beau désordre ; l’artiste satisfait de son esquisse attendait avec confiance le juge royal. Le roi arriva, n’avant qu’un moment à lui ; il examina l’esquisse, et se borna à dire en souriant : « Monsieur Couder, vous aimez le désordre ; nous en reparlerons. » Le peintre, tout plein de sa pensée, ne songea même pas à interpréter ces paroles et se mit à l’œuvre. C’était au début du printemps, lorsque les premiers beaux jours appelaient d’abord le roi à Neuilly, lui permettaient d’aller plus tard s’établir à Saint-Cloud, et de se rapprocher des ateliers de Versailles, momentanément préférés à ceux du Louvre. M. Couder eut donc le temps de poursuivre son œuvre ; elle était presque achevée, lorsque le roi reparut au Louvre. Quand il vit le tableau : « C’est une belle peinture, dit-il ; mais ce n’est pas la fédération de 1790. Vous vous êtes trompé d’époque, monsieur Couder ; en 90, la minorité n’était pas encore devenue maîtresse de la révolution. Le désordre était sur le second plan ; pourquoi l’avoir mis au premier ? Tous ces gens-là semblent vouloir escalader le trône ou ébranler l’autel de la patrie : ils ne le feront que trop tôt. Où sont les cent trente mille acteurs de cette grande scène, députations accourues des divers points du territoire ? Où est cette acclamation solennelle d’une grande force organisée qui était alors plus nationale que révolutionnaire ? J’y étais, monsieur Couder, j’ai vu tout ce que je viens de vous rappeler ; cela vaut mieux que ce qui a suivi cette journée de près ou de loin. Voilà la vérité de votre sujet ; abordez-le franchement, et recommencez votre tableau. »

On comprend le désespoir de l’artiste, la lutte qu’il entama et qu’il soutint avec le roi au nom de son œuvre presque achevée, au nom des