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qui lui est réservé ; mais ce dont ne doute aucun de ceux qui l’ont connu, c’est que, si l’occasion se présente, il ne fera défaut ni à l’occasion, ni à lui-même.

Au reste, le spectacle qui nous entourait était vraiment singulier. Animé par la course, chacun avait le regard brillant et la joie sur le visage. De tous côtés, on entendait le son des armes et des éperons, tous les bruits précurseurs du combat ; on eût vraiment dit que l’on se préparait à courir au danger, tandis que nous n’avions plus qu’une heure de marche pour rencontrer le général Pélissier, commandant la subdivision de Mostaganem, qui nous attendait aux trois marabouts avec le 4e chasseurs à cheval. Figures de bronze aux longues moustaches, grands hommes fièrement campés sur leurs petits chevaux trapus, ce régiment était digne de cette cavalerie dont le seul nom porte la terreur dans les rangs ennemis. Sassours ! sassours ! crient les Arabes du plus loin qu’ils voient s’ébranler leurs escadrons, et les cavaliers, même des jours noirs hésitent à les attendre ; ce prestige, les chasseurs le doivent au sang versé, au courage impétueux qui les distingue, à leur fermeté dans les heures difficiles. Les traits de ces soldats et de ces officiers, qui nous saluaient en passant du sabre, se retrouvent au musée de Versailles fixés sur la toile dans toute leur mâle vigueur par la main d’Horace Vernet, car ces escadrons, c’étaient ceux de la Smala, de l’Oued-Foddha, d’héroïque mémoire, où le général Changarnier, privé de canon, les lançait comme des boulets, disant d’eux : « Voilà mon artillerie ! » C’étaient ceux de l’Oued-Mala, le tombeau des bataillons réguliers, d’Isly, que sais-je ? de vingt combats encore où ils restèrent toujours dignes d’eux-mêmes. Le colonel Dupuch commandait cette vaillante troupe, dont les fanfares animaient la marche comme nous traversions la vallée des Jardins, qui précède Mostaganem.

Cette vallée, couverte d’arbres fruitiers et de figuiers, est abritée des vents de la mer par les collines du rivage ; elle est la promenade habituelle des habitans de la ville de Mostaganem. On la quitte à une demi-lieue des murailles pour traverser un terrain où les colonnes bivouaquèrent souvent, et qu’illustrèrent les bœufs du maréchal Bugeaud et le grand chapeau de M. de Corcelles. Lors de l’expédition de Mascara, le maréchal Bugeaud, manquant de moyens de transport, voulut essayer de tirer parti des boeufs, que les Arabes habituent à porter des fardeaux comme les mulets ; on en réunit un grand nombre, et les sacs de riz et les sacs de café furent attachés à leurs flancs. Ce fut alors qu’un loustic de régiment composa une chanson qui se répète encore dans le pays, sur le rhythme et l’air des Gueux de Béranger :

Les boeufs, les bœufs
Sont bien malheureux,
Leur sort est affreux,
Plaignez les bœufs.