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à sa table avec le couscouss national. Chedly avait voyagé en France, et rien de plus curieux que de l’entendre vous raconter ses impressions de voyage, vous parler des fleuves de mer sur lesquels marchaient les bateaux de feu, et des chemins de fer. — Tu as vu la balle fuyant la poudre qui la chasse, disait-il aux siens, c’est ainsi de leur voiture de feu. — Et il imitait avec une perfection merveilleuse tous les bruits de la machine. Son œil vif, ses traits fins et rusés prouvaient qu’il avait dû tirer bon parti de ses observations, et, bien qu’il prétendît que ce qui l’avait le plus frappé c’était le gaz et la façon dont il prenait feu, il était facile de voir que rien n’avait échappé à ses remarques ; mais l’instinct défiant du sauvage lui faisait garder le silence. Au reste, l’homme qui, devant une maison de pierre qu’on lui bâtissait dans une ravine sauvage où la vue était arrêtée de tous côtés, répondit en montrant le ciel lorsqu’on lui faisait observer que plus loin se trouvait un emplacement d’où le regard s’étendait sur le pays entier : « Y a-t-il plus beau spectacle que celui-là ? » cet homme était certes un esprit élevé et réfléchi.

La terre est un livre pour les cavaliers, disent les gens du marghzen, on y lit la trace de ceux qui ne sont plus. C’était ainsi que nos souvenirs s’égaraient à travers le pays, et, tandis que les cavaliers arabes se livraient aux joyeux exercices de la fantasia, j’écoutais le commandant d’Illiers raconter à M. de Laussat un de ces mille accidens de la guerre que lui rappelaient les collines et les campagnes qui se déroulaient devant nous.

Chargé du commandement d’une petite colonne mobile aux environs de Mascara, M. Bosquet, alors attaché à l’état-major du général de Lamoricière, était campé dans les jardins de Sidi-Dao, quand ses coureurs lui annoncèrent que les cavaliers rouges d’Abd-et-Kader s’avançaient vers une fraction des Hachems qui s’étaient rapprochés de nous, afin de les emmener vers le sud. Donnant aussitôt l’ordre du départ, M. Bosquet se dirigea vers l’Oued-Traria, où se trouvaient les tentes des Hachems, en face de Mascara. Les cavaliers d’Abd-el-Kader avaient ordre de ne point engager le combat, mais seulement de s’efforcer d’entraîner les populations. Les tentes s’étendaient sur les deux rives du Traria. Du haut de la colline, on voyait les réguliers rouges de l’émir allant de tente en tente, pressant le départ. C’était une confusion incroyable : femmes, enfans, troupeaux mêlant leurs cris et leurs mugissemens ; mais, à mesure que nos cavaliers s’avançaient, ceux de l’émir se retiraient ; on eût dit un filet que de deux côtés opposés chacun tire à soi. Enfin la dernière maille nous resta, les tentes lurent rassemblées, et, sous la conduite de Mohammed-Ben-Sabeur, les Hachems vinrent bivouaquer près des faisceaux français. Cette nuit-là M. Bosquet dormit tout armé, il avait peine à croire qu’elle se passât