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III

Nous passâmes deux jours à Mascara ; puis, toutes les affaires terminées, le vin du Béarnais goûté par M. de Laussat, nous nous mîmes en route pour Mostaganem ; mais, au lieu de couper en ligne droite par le chemin qui suit la ravine des Beni-Chougran, nous prîmes la route des prolonges et marchâmes d’abord à l’ouest afin de visiter El-Bordj (le fort), dont on relevait l’enceinte. Nous devions y déjeuner et bivouaquer au pied de la montagne, à la fontaine dont les eaux se perdent dans la plaine de l’Habra. Caddour-ben-Murphi, agha de la cavalerie, qui était venu la veille saluer le général, nous accompagnait, faisant fête aux hôtes auxquels il allait offrir la diffa. C’était un grand soldat de six pieds de haut, à la figure mâle et décidée, un maître du bras. On sentait en lui l’énergie et l’audace d’un homme élevé dans la poudre, qui aime la guerre et doit sa grandeur à sa force. À ses côtés presque caché par le large trousquin de la selle arabe, le petit Murphi, son fils, charmant enfant de onze ans, à l’exil vif et moqueur, dont la petite voix savait déjà se grossir pour commander, était surveillé par un nègre fidèle qui ne le perdait pas de vue. L’esclave portait le fusil au court canon qui avait déjà lancé la balle, et servait maintenant à l’enfant pour jouer sur son cheval avec la poudre. À la limite des jardins, les officiers de Mascara qui nous avaient accompagnés échangèrent avec nous les adieux, et nous continuâmes notre route en suivant le bord de ces grandes falaises, si l’on peut parler ainsi, descendant en pentes douces jusqu’à la plaine, tandis qu’à leur sommet s’ouvrent des précipices à pic et des ravines inextricables, retraite d’une tribu de Kabyles, celle des sauvages Beni-Chougran.

Maîtres des passages directs qui relient Mascara à Oran et à Mostaganem, ces Kabyles nous ont fait d’abord une rude guerre ; puis, les têtes de pierre ont fini, comme les autres, par se courber sous le joug. Durs et intraitables, les Beni-Chougran passent toutefois pour fidèles à leur parole, et en 1831 les Turcs de Mascara leur durent la vie, lorsque, les tribus de la plaine s’étant révoltés, les Kabyles les firent échapper avec leurs richesses, par les passages des montagnes dont ils étaient maîtres. Chedly, leur ancien agha, marchait avec nous, et le bruit courait que le général de Lamoricière allait lui rendre son autorité. La longue conversation qu’il avait à l’écart avec Caddour-Myloud, le renard, me portait à croire que cette fois le bruit public était d’accord avec la vérité. Chedly était du reste un homme plein d’intelligence, qui avait compris toutes les ressources de notre civilisation. Par ses sains, presque tous les oliviers dont ces montagnes sont couvertes étaient greffés, et depuis deux années la pomme de terre était mangée