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vêtemens, les Hachems sont ma chemise, » disait l’émir en parlant des trois tribus qui l’avaient proclamé sultan. C’est pour lui enlever à la fois les vêtemens et la chemise que fut entreprise la campagne d’hiver de Mascara. Ce système, suivi cent quarante ans auparavant par les beys turcs, devait avoir le même résultat[1]. Qui eût vu en effet Mascara, lorsque la colonne expéditionnaire de 1841 vint pour l’occuper, n’aurait plus reconnu la ville, s’il nous eût accompagnés en 1846. Ruinée par deux fois, Mascara n’est plus habitée maintenant que par un petit nombre d’Arabes ; en revanche, sa population européenne est nombreuse, et de toutes parts s’élèvent maisons, casernes, établissemens militaires qui lui donnent l’aspect d’une ville de France. Bâtie sur deux collines que sépare un ruisseau dont les eaux font tourner un moulin, entourée de jardins, d’oliviers, de vignes, d’arbres fruitiers, l’ancienne capitale de l’émir domine la fertile plaine d’Eghris, la terre des Hachems, qui s’étend à ses pieds sur quatre lieues de largeur et dix de long. Çà et là, de grands champs de figuiers coupent la monotonie de cette plaine, le regard se perd sur les longues silhouettes des collines, et, du côté de l’ouest, sur les hautes montagnes que l’on découvre par une large ouverture dans un horizon lointain, où leur sommet semble toujours flotter dans la brume.

— Le voyageur arabe Mohammed-ben-Yousef a dit : « Si tu rencontres un homme gras, fier et sale, tu peux dire : C’est un habitant de Mascara. » Vois si la parole de Mohammed-ben-Yousef est la vérité, ajoutait Caddour-Myloud, l’officier douair, en me montrant du doigt le premier Arabe que nous rencontrions à la porte de Mascara, et il se mit à rire de ce rire silencieux que donne l’habitude de l’embuscade. force nous fut de partager l’opinion de Caddour-Myloud, car, au milieu de cette foule bigarrée qui se pressait pour saluer le général, l’indigène de Mascara se faisait facilement reconnaître, et Dieu sait pourtant s’il y avait des Arabes déguenillés, des Kabyles aux haïks rapiécés. Pour les Européens, chacun avait la veste de son pays ; du nord ou dit midi, d’Espagne comme d’Italie, il y en avait de toutes terres, et, au moment où nos chevaux avaient peine à se frayer un passage dans la foule, notre compagnon de route, M. de Laussat, qui se trouvait à côté de moi, s’entendit tout à coup appeler par son nom et saluer

  1. Lorsque nous eûmes enlevé à l’émir les places où il avait déposé ses approvisionnemens, il constitua la Smala, c’est-à-dire une ville nomade. Là se trouvaient réunies plusieurs tribus et les familles de ses serviteurs groupés autour de la sienne, mais les Arabes qui venaient vendre des approvisionnemens trouvaient à la Smala tout ce qui leur était nécessaire. Des Juifs, en grand nombre, fournissaient à tous les besoins. Aussi, dès que les places de pierre eurent été prises, le soin le plus important fut la poursuite et la destruction de cet arsenal mobile. C’est ce que M. le duc d’Aumale accomplit par un glorieux fait d’armes en 1843.