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familles pourtant des montagnes des Pyrénées s’étaient tirées d’affaire : leurs terres rapportaient, elles avaient un petit troupeau, et, si elles venaient voir le général, c’était pour lui demander un bélier Le général prit plaisir à les écouter. « Eh bien ! vous êtes heureux, disait-il à la femme ; c’est meilleur qu’en France ? — Ah ! oui, monsieur le général, répondit la bonne femme, on est bien ici, mais il y a une chose qui fait bien souffrir, allez ; c’est dur de ne pas entendre le son des cloches. » C’est qu’en effet, pour qu’une colonie réussisse en Afrique, il ne faut pas seulement songer à la chair et au corps, il faut ce qui console et rappelle les souvenirs de l’enfance, l’église et la cloche. Le premier ordre qu’expédia le général fut celui de la construction d’une chapelle à Saint-Denis-du-Sig. Un seul homme avec ces deux familles, un nommé Nassois, avait su se tirer d’embarras. Il possédait une longue et belle maison en pierre, où s’arrêtaient presque tous les rouliers qui parcouraient sans cesse la route d’Oran ; mais celui-là était un vieux routier, façonné depuis longues années à l’Afrique. Habile, énergique, industrieux, il tirait parti de tout, et, qui le croirait ? le billet de banque, grace à lui, était connu des Arabes, non pas la banque de France, mais la banque Nassois. Un bon de lui se passait de main en main sur tous les marchés des environs comme argent comptant.

Dès que le général eut fini son interrogatoire et comparé les notes prises, sa résolution fut arrêtée. Il fallait à la petite colonie un commandement ferme et net, décidant promptement les contestations, et pourvu des ressources nécessaires pour venir en aide avant l’hiver à tous ces malheureux. Ordre fut immédiatement envoyé au commandant Charras de venir au Sig bivouaquer sous les tentes avec son bataillon. Les soldats devaient se faire chauffourniers, tailleurs de pierre, maçons et laboureurs, pour tirer cette misérable population de sa souffrance. Quelques mois plus tard, celui qui aurait traversé le Sig n’aurait plus reconnu Saint-Denis : ce village était transformé.

Un peu au-delà de Saint-Denis commencent les gorges des montagnes qui séparent de Mascara et de la plaine d’Eghris la vallée du Sig et de l’Habra. La nuit était noire, quand nous traversâmes ces défilés, pour gagner le pont de l’Oued-et-Hamam (la rivière du Bain), où nous devions bivouaquer ; le lendemain matin, il fallut se remettre aussitôt en route. Nous laissâmes derrière nous la petite redoute où, lors de la révolte de 1845, renfermé dans le blockhaus avec deux vigoureux compagnons, un cantinier, ancien sous-officier d’un régiment, tint tête aux Kabyles, et fut dégagé par un détachement se rendant à Mascara. La pluie recommençant de plus belle, nous quittâmes la route des prolonges, et nous escaladâmes le chemin de traverse, au risque de culbuter dans les ravins ; mais enfin la fameuse montée, baptisée par