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La vingt-huitième nuit, Djelloul était chez le général. — Que ceux que tu commandes soient prêts demain à la nuit ; le moment est venu.

Le lendemain, à six heures, les troupes étaient sur pied, et la colonne s’ébranlait dans la direction du Sig. Au jour, pendant que les bataillons de Mustapha-ben-Tami se dirigeaient de leur côté sur Oran pour tenter un coup de main, la colonne française arrivait sur les tentes des Garabas. — Voilà l’ennemi ! s’écria Djelloul ; je te l’ai donné, maintenant je suis libre et à ma vengeance. Et l’Arabe partit en tête des cavaliers. Quand le ralliement sonna, quand le butin était épuisé, Djelloul revint, mais le dernier. — Mon bras s’est rassasié de sang, disait-il au capitaine Bentzmann, mais Bou-Salem m’a échappé. Comme je m’en revenais, pourtant, tout à l’heure, j’ai trouvé derrière un buisson le plus vieux de la tribu ; je lui avais déjà mis mon pistolet sur la tête, quand le Puissant m’a envoyé une idée. Alors je lui ai dit : — Toi, Mohammed, tu es le plus vieux d’entre les Garabas ; je te rends la vie, retourne vers Bou-Salem et les tiens, et dis-leur que c’est Djelloul qui les a livrés. Dis à Bou-Salem que ma vengeance n’est pas satisfaite. Dis-lui que, toutes les fois qu’il posera sa tête sur une pierre, il regarde dessous, pour voir si mon poignard n’y est pas.

Depuis cette époque, Djelloul s’est vengé, mais lui-même a reçu la mort dans un combat. Les Carabas soumis et fidèles cultivent maintenant en paix la plaine, et si vous leur demandez pourquoi, pendant deux heures dans la journée, et même durant une partie de la nuit, quand la lune est dans tout son éclat, le vent soulève régulièrement des tourbillons de poussière. — La ville, vous diront-ils, dont on voit les ruines de tous côtés, avait refusé de témoigner à la foi musulmane lorsque les Mehral firent la conquête du pays. Le prophète alors envoya un vent violent, qui détruisit ses murailles et fit mourir une partie de la population. Depuis lors, une fois la nuit, une fois le jour, toutes ces ames traversent en pleurant les ruines de la ville, enterrées maintenant en partie sous les terres d’alluvion ; de là viennent les bruits et les gémissemens que ce vent fait entendre.

Le général voulait se rendre compte des causes qui arrêtaient le développement d’un village placé dans les meilleures conditions de prospérité ; il fit donc annoncer qu’à partir de cinq heures il recevrait tous les colons qui auraient à lui parler. Je ne sache pas spectacle plus triste que cette audience, tenue dans la salle enfumée d’un cabaret de planches. Assis sur un méchant escabeau de bois, le général recevait un à un tous ces malheureux, les interrogeait avec bonté, pendant que sur une table boiteuse on prenait note de leurs noms, de leurs familles, de leurs ressources et de leurs besoins. C’était toujours la même histoire : personne qui pût employer leurs bras et leur faire gagner un salaire ; les maladies, la mort décimaient leurs familles. Deux