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l’étoffe d’une sainte, dès que vous voudrez vous mêler d’aimer Dieu. Cela vous viendra probablement avec la première ride. Je préférais pour vous que ce fût tout de suite; mais vaut mieux tard que jamais.

LA BARONNE.

Ne me mettez pas au défi. Je suis capable de ne pas oublier tout ce que je viens d’entendre.

LE COMTE.

Mesdames, quel tort on vous fait lorsqu’on vous apprend à détester cette simplicité auguste des prétendus petits devoirs de la famille, de l’intérieur, du mariage, de la piété ! On vous arrache du trône pour vous pousser sur de misérables théâtres, où vous devenez des jouets. Vous perdes l’affection durable, le tendre respect, la vénération de tout ce qui est bon et honnête, pour l’applaudissement éphémère d’un essaim de fats. Ne vaut-il pas mieux être aimée de son mari, adorée de ses enfans, honorée de ses proches dans l’humble paix du foyer domestique, que d’être louée des gens à la mode, ou célébrée d’un poète, même d’un qui fait de bons vers, et ils n’en font pas tous? Un jour, devant moi, lisant je ne sais quelle chanson en l’honneur de je ne sais quelle Elvire, une dame osa bien s’écrier : Je voudrais être cette femme-là! Je vous assure que jamais un homme de sens et de cœur, même à l’âge où les hommes de sens et de cœur peuvent prêter l’oreille à ces puérilités, ne s’est dit : J’aimerais cette femme-là, et je lui donnerais mon nom! Un homme capable d’amour, de l’amour grand et vrai dont nous parlons, n’admet pas que la compagne de sa vie puisse s’attirer les éloges d’un rimeur. Ce qu’elle obtient d’admiration de la part de certaines gens n’est à ses yeux qu’une tache qui la rabaisse, et dont il s’offense.

LA BARONNE.

Quoi donc! les chrétiens sont-ils jaloux?

LE COMTE.

Madame, ils sont dignes et fiers; ils désirent à leurs femmes cette dignité et cette fierté qui ne laissent pas même arriver jusqu’à elles des regards et des vœux insolens.

LA BARONNE.

C’est bien dur; mais je commence à n’être plus de mon avis. Cette silencieuse marquise me glace. Soyez bien sûr, monsieur le comte, qu’elle est pour vous. Je rends les armes. Je vois, je sais, je crois, je suis chrétienne... vrai! Il n’y a plus qu’une chose que je voudrais savoir. Nous vous avons toujours connu homme de bien, mais depuis quelques mois, vous avez tant grandi!... Voyons, dites-nous bien franchement ce qui vous a touché. Vous intéresserez la marquise. Elle est discrète, mais elle grille comme moi de pénétrer ce mystère. N’est-il pas vrai, ma belle?

LA MARQUISE.

Je l’avoue.

LE COMTE.

Je n’ai point sujet d’être mystérieux là-dessus, madame. Il y a deux mois, en Bretagne, où je m’étais rendu par ordre supérieur, et un peu pour voir qui serait plus fort de mon cœur ou de ma raison, je vis une jeune personne de