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sentimens, à nous autres dévots, et que je cherche à vous les faire comprendre, comme vous me l’avez commandé. Or, suivant nous, les femmes ont une ame; cette ame est immortelle, elle sera jugée, et ce serait un malheur, le plus grand des malheurs, le seul irréparable pour cette ame, si elle venait à se perdre, et pour nous, si nous avions contribué à sa perte. Nous sommes donc obligés de régler nos affections de telle sorte que ceux qui en sont l’objet, et nous-mêmes, non-seulement nous ne perdions rien, mais nous croissions en vertu. Je me persuade qu’on y trouve quelque garantie pour le bonheur.

LA BARONNE.

Un bonheur sans mélange.

LE COMTE.

Vous voulez dire un bonheur ennuyeux? Je n’ai rien à répondre. Lorsqu’on traite avec nous, c’est à prendre ou à laisser; mais aux cœurs qui veulent de grandes flammes, la route d’Italie est ouverte, et il reste des pianistes à enlever.

LA BARONNE.

Allons, vous abusez de cette équipée.

LE COMTE.

Mon Dieu! madame, les combinaisons de deux cœurs ne sont pas si variées que l’on pense. Ou cela, ou des intrigues de paravent, ou l’austérité de l’affection chrétienne, voilà toutes les sortes d’amour; en dehors de quoi il n’y a plus que l’association bourgeoise pour la tenue des livres et la conservation de l’espèce humaine.

LA BARONNE.

Très bien, monsieur le comte, A présent, je sais quels conseils donner aux filles à marier. Voulez-vous garder la maison et filer votre quenouille? Prenez un bon chrétien. Aimez-vous un peu le monde, un peu la parure, un peu la musique et la danse? Ah! réfléchissez, on s’y damne; mais enfin, si vous y tenez, choisissez un païen. N’est-ce pas cela?

LE COMTE.

A peu près. Je ne pense pas qu’une femme chrétienne soit absolument condamnée à la prison cellulaire et aux habits monastiques; cependant la gravité ordinaire de ses pensées l’éloigne du monde et lui en interdit les coutumes. Ce qui se passe au-delà de son seuil ne la regarde guère. Il est essentiel qu’on l’estime beaucoup, que son ménage soit paisible, ses enfans bien élevés, et pas du tout qu’elle soit proclamée la femme la plus belle ou la plus vertueuse de Paris.

LA BARONNE.

Tous me glacez avec vos sentences. Quoi! jamais d’Italiens, Jamais de bals, aucune notion de la pièce nouvelle ni du roman nouveau? ne connaître les histoires qu’après tout le monde ou ne les pas connaître du tout, et sauter au moins trois modes sur cinq?

LE COMTE.

Il y a des compensations. On ne lit pas les livres nouveaux, mais on en lit de vieux; on n’entend pas le grand chanteur, et on ne cause pas avec de beaux esprits, mais on cause avec les pauvres, et on les habille des économies faites