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confédération ne s’élevant qu’à quelques millions, et la plupart des cantons n’en ayant que peu ou point, la Suisse n’a pas traversé ces crises produites par la dépréciation des fonds publics.

On a vu revenir la plupart des chefs politiques de l’agitation révolutionnaire commencée en 1841 à un radicalisme juste-milieu, même à un véritable juste-milieu. M. Keller d’Argovie disait dernièrement dans la constituante de son canton : « La condition de toute existence républicaine est de se faire des concessions réciproques telles que les circonstances les demandent. » Le rédacteur de la Nouvelle Gazette de Zurich, la feuille la plus répandue de la Suisse allemande, recommande sans cesse de laisser de côté les disputes politiques pour s’occuper d’améliorations matérielles. Nous sommes loin de vouloir contester ce qu’il y a d’honorable dans ces tendances ; mais nous nous permettons de rappeler aux radicaux à demi convertis qu’il ne suffit pas d’oublier un passé malheureux, qu’il faut encore savoir en effacer les traces. La guerre civile a laissé à sa suite tout un triste héritage de mesures exceptionnelles et rigoureuses. Ce sont là des plaies vives qu’il faut se hâter de fermer. On se demande ensuite si le parti des radicaux convertis offre en lui-même des garanties assez fortes pour préserver la Suisse de crises semblables à celles de 1847. Le passé parle contre lui. Heureusement le libéralisme conservateur tend de jour en jour à s’emparer de la place que laisse inoccupée le radicalisme, même modéré. Il vient de triompher à Berne, il a proclamé et appliqué ses principes à Zurich ; il y a là, nous le croyons, pour la politique intérieure de la Suisse comme une phase nouvelle, comme une ère de régénération qui commence. Ne nous abusons pas toutefois, la convalescence d’un pays si rudement éprouvé par la fièvre révolutionnaire pourra être longue. N’oublions pas aussi que les destinées de la république helvétique sont liées étroitement à celles de la France et de l’Allemagne. Les luttes intérieures des cantons ont quelquefois précédé les crises, européennes : aujourd’hui tout semble annoncer que le mouvement politique de la France et de l’Allemagne sera de plus en plus le régulateur de l’esprit public au pied des Alpes. Espérons que cette double influence, qui a tant de fois agi pour le mal, va enfin s’exercer pour la bien.


BLAZE DE BURY.