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religion de Fénelon ; mais l’état s’en trouve mieux, et je ne vois pas eu quoi une prière individuelle, à laquelle se mêle la pensée d’un devoir public accompli, serait moins agréable à Dieu que la pieuse extase d’un ascète absorbé par l’œuvre de son salut personnel.

Cette idée d’utilité publique attachée à la religion n’est-elle donc propre qu’à l’Angleterre ? En France, par exemple, est-on moins convaincu que la religion est un bon ressort de gouvernement ? Comment donc ! non-seulement on le croit, mais on le dit sans cesse. Combien de gens qui vont répétant d’un air profond qu’il faut une religion pour le peuple ! Combien de jeunes esprits forts qui ne veulent épouser qu’une dévote ! Il est vrai qu’ils songent moins au public qu’à eux-mêmes ; ce qu’ils veulent, c’est pouvoir être impunément maris médiocres, ou peut-être pis. Le plus grand nombre est persuadé que, de tous les liens de la société, le plus puissant est la religion ; que dis-je ? ils lui viendraient volontiers en aide par les lois. Il n’est pas jusqu’à l’anarchie qui ne tienne à avoir le Christ de son côté. Quant à donner l’exemple, fort peu entendent aller jusque-là ; nous voulons bien d’une discipline qui nous assure contre les autres, non d’un devoir qui nous contraigne au profit de tous.

En Angleterre, sauf quelques esprits excentriques, personne ne demande de venir en aide à la religion par des lois. Il suffit de celles qui existent. On remarquerait plutôt dans ce grand pays une tendance contraire. Pour ne point parler des lois d’émancipation votées dans ces dernières années, ni de celles qui le seront inévitablement[1], les lois en général sont plutôt marquées de l’esprit philosophique que de l’esprit religieux. Ainsi, dans ce pays aussi grand que singulier, quoique la religion soit dans l’état et que le chef de l’un soit en même temps le chef de l’autre, le gouvernement tend de plus en plus à séculariser l’autorité. Il a raison ; il ne faut pas employer Dieu comme instrument de politique, ni l’exposer à ce qu’on fasse remonter les imperfections des gouvernemens à la source de toute justice et de toute vérité.

La puissance de la religion, comme discipline publique, doit venir tout entière des mœurs. Il n’y faut pas de lois, mais des exemples. C’est ainsi que l’entend le peuple anglais. On ne se contente pas de louer la religion, on la pratique. Les parens y montrent le chemin aux enfans, les maîtres aux serviteurs, les grands aux petits. Les incrédules disparaissent dans cette immense multitude de croyans, et, s’il est quelques hypocrites, il y a plus de chance qu’ils reçoivent de la foule la croyance qu’ils ne la convertissent à leur hypocrisie. Le moindre effet d’un exemple si universel, c’est de donner le respect. Qu’y a-t-il de plus beau à voir que la nef de Westminster un dimanche ? Là le

  1. Ainsi la loi qui doit ouvrir aux Juifs les portes du parlement.