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et la métaphysique de la poésie du XVIIIe siècle. On était las de cette défroque classique au temps où vint lord Byron ; après sa mort, on se lassa de la défroque orientale qu’il avait mise à la place.

Mais la cause la plus sérieuse de la défaveur qui a suivi sa popularité, c’est le progrès de l’esprit religieux dans son pays. L’Angleterre est plus religieuse aujourd’hui qu’elle ne l’était au temps de lord Byron. Combien ne l’est-elle pas plus que l’époque où Voltaire pouvait dire en observateur exact : « Il n’y a guère de religion aujourd’hui dans la Grande-Bretagne que le peu qu’il en faut pour distinguer les factions[1] ! » Telle y est en ce moment la force des idées religieuses, que je doute qu’un homme de talent osât chercher un succès littéraire dans quelque étalage d’incrédulité. On ne l’en empêcherait pas, mais on ne lirait pas son livre. C’est ainsi qu’on en use en Angleterre avec les libertés dangereuses. L’Anglais est libre de tout dire, parce que la société anglaise ne se croit pas libre de tout entendre. Il n’y a de scandale que là où le public s’y prête. Ici les mœurs feraient bientôt ut désert autour de celui qui blasphémerait.

À quoi tient cette disposition religieuse de l’Angleterre ? Ce n’est pas un de ces retours à Dieu qui suivent les grandes calamités publiques. L’Angleterre est loin du temps de ses dernières épreuves, et dans la lutte prodigieuse du commencement de ce siècle, si elle a beaucoup souffert, du moins l’avantage lui est demeuré. Est-ce l’ennui attaché aux plus grandes prospérités humaines ? Pas davantage. Loin que l’Angleterre s’ennuie de sa fortune, elle en paraîtrait plutôt enivrée, et son attitude actuelle est plutôt d’une nation emportée par le succès que d’une nation assouvie qui revient à Dieu après avoir épuisé loures les fortunes terrestres ; mais elle a jugé nécessaire à sa conservation de remonter, pour ainsi dire, ses ressorts religieux, et, chose unique dans l’histoire,- elle y a réussi. Peut-être avait-elle peu d’efforts à faire, étant naturellement religieuse ; encore fallait-il les faire. Et ce n’est pas le respect humain qu’elle a raffermi, c’est la foi. Elle a bâti des églises, non pour la montre, mais pour s’en servir. L’homme, dans ce pays, sent l’utilité publique de sa foi personnelle. On croit pour croire, et parce qu’il importe à la société que l’on croie ; on pratique, parce qu’on en reçoit l’exemple, et pour le donner à son tour. Une idée d’intérêt général se mêle même à ce qui paraît être le don le plus individuel, la grace. L’Anglais sait qu’en faisant sa prière dans l’intérieur de sa famille, les serviteurs agenouillés à côté du maître, il fait quelque chose pour lui et quelque chose pour le public. Je ne nie cache pas ce qu’il y a d’un peu terrestre dans ces sentimens ; rien ne ressemble moins aux extases de sainte Thérèse, ni aux graces de la

  1. Siècle de.Louis XIV, chapitre XXII