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par prestation. Les choses se passaient ainsi à Rome, et je ne doute pas que cette exagération des doctrines stoïciennes, que les relâchés reprochaient au vieux parti républicain personnifié dans Caton, n’ait été le cant romain.

Comme presque toutes les vertus humaines, la réserve anglaise est une vertu qui a son travers ; lord Byron ne vit que le travers et méconnut la vertu. Il manqua de respect à son pays, parce qu’il ne s’y était pas rendu respectable. Sans doute, la gêne lui était plus malaisée qu’à tout autre. Ce n’est pas tout simple d’être né d’un tel sang et avec un tel tour d’esprit. L’oncle auquel il succéda était une façon de demi-sauvage caché au fond de Newstead-Abbey, dont il faisait abattre tous les chênes pour payer des dettes équivoques. Son père, le capitaine Byron, cadet de famille, eût vendu les plombs du manoir, s’il eût été l’aîné ; mais, si Byron hérita de quelque bizarrerie d’humeur, certes il ne manquait pas de moyens pour s’en rendre maître. Par son esprit profond et pénétrant et qu’il avait fort cultivé, il n’ignora rien du vrai et du faux ; par sa conscience, qui était fort susceptible, il n’ignora rien du mal et du bien. Malheureusement il ferma souvent les yeux au vrai qui le contrariait, et il ne sut pas se gêner pour faire le bien dont tout le monde profite et dont personne ne parle. C’est la faute universelle ; seulement le génie la rend moins excusable, parce qu’à cette hauteur et dans un tel éclat de lumière, elle est d’un plus mauvais exemple.

Si ce ne fut pas un tort pour lord Byron d’être whig, c’en fut un d’être parmi les plus téméraires et les plus inconséquens de ce parti, et d’attaquer, par-dessus la tête des tories, des institutions auxquelles il devait son rang, sa fortune, l’impunité d’une vie oisive à l’étranger, loin des devoirs par lesquels l’aristocratie anglaise paie ses privilèges. Comme poète, il aima trop l’effet. « Le grand art, disait-il, c’est l’effet ; peu importe comment on le produit[1] : » triste aveu, et qui siérait mieux à un charlatan qu’à un poète. Heureusement, chez lord Byron, l’improvisation est si abondante et si impétueuse, qu’elle n’attend pas le calcul. L’effet est produit avant que le poète ait eu le temps de le gâter en le cherchant ; mais une si vilaine pensée n’entre pas impunément dans l’esprit. Byron fut trop complaisant pour le faible que M. Lockart reproche à la société anglaise ; il fit de ses humeurs les moins respectables une pâture pour cette sorte de curiosité malhonnête dont ne peuvent pas se défendre les plus honnêtes gens. Rien ne lui coûta pour attirer les regards. Il y employa jusqu’à l’anonyme, dans la pensée qu’il doublerait l’effet en outrant l’audace des confidences et en masquant l’auteur. Il se dérobait pour être d’autant plus

  1. Lettres de lord Byron.