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l’incompatibilité entre son pays et lui. Or l’incompatibilité laisse intact l’honneur des parties.

Cependant lord Byron a accusé la société anglaise d’hypocrisie. C’est ce cant, « le péché criant de ce temps à double conduite et à parole double, » dont il parle en plusieurs endroits de ses lettres et de ses poésies. Je crois à l’hypocrisie individuelle. C’est un masque fort connu, quoique beaucoup de dupes le prennent encore pour un visage ; je croirais aussi à l’hypocrisie d’une classe, bien qu’il soit déjà difficile que le même masque s’adapte à tant de visages. Quant à l’hypocrisie de toute une société, je n’y crois pas. Les foules, très capables d’erreurs, et d’illusions, sont incapables de mensonge. Il peut y avoir des hypocrites à la tête, et, comme ils ne font après tout que se conformer au sentiment général, je ne sais si cette déférence peut s’appeler hypocrisie, et si un mot si dur convient à un acte si sensé. Les Romains étaient un peuple fort religieux, et ce trait de caractère, qui leur est commun avec les Anglais, ne contribua pas peu à la grandeur de leur nation. Ils eurent, sur la fin de la république, des chefs qui l’étaient moins, ou qui ne l’étaient pas du tout, et un sénat où la philosophie de Lucrèce avait peut-être plus d’adeptes que la religion de Jupiter. Peut-on néanmoins qualifier d’hypocrisie le soin qu’ils continuaient à prendre du culte des aïeux ? Ils y étaient intéressés, dit-on, comme à un moyen de discipline et d’ordre ; mais cela même ne leur fait pas tort. Eût-il mieux valu qu’ils proposassent au peuple pour religion soit le doute des plus honnêtes, soit l’incrédulité des plus corrompus ?

Si la disgrace de lord Byron n’eût été qu’un acte d’hypocrisie publique, il serait donc vrai que ce que l’Angleterre défendit contre son grand poète, ce ne fut pas ses mœurs, mais un double masque politique et religieux. Et quel admirateur de lord Byron irait jusqu’à le dire Oui, au moment suprême de la lutte entre l’Angleterre et la France, lord Byron jetait sur la guerre, sur la gloire des armes, non pas la réprobation d’un chrétien ni les paroles de pitié d’un ami des hommes, mais la dédaigneuse ironie d’un homme de parti, s’efforçant de déshonorer la guerre dans les hommes d’état qui la conduisaient, la gloire militaire dans les chefs qui la faisaient. Il attaquait son pays dans ses passions au moment où ce pays en avait besoin pour des efforts désespérés, au moment où ces passions étaient ses moyens de défense. Il le troublait dans ses croyances au moment où elles le consolaient de ses sacrifices. Par une inconséquence cruelle, il décrivait, avec la profondeur mélancolique de la pensée chrétienne, la faiblesse de l’homme, le vide de ses plaisirs, la vanité de tout bonheur humain, et il attaquait la foi qui explique ces misères et qui en fait espérer la réparation. En même temps qu’il élargissait la plaie, il discréditait la main qui la guérit. Il ajoutait à la désolation chrétienne, et il ôtait l’espérance. Ce