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plainte éloquente, on serait tenté d’abord de la trouver juste. Bien que l’homme de génie soit libre de faire des dons qu’il tient de Dieu un emploi irréprochable, il se mêle à cette liberté tant de mouvemens impérieux et involontaires, qu’on est près de prendre parti pour le poète contre la société qui l’exilait. Quoi ! se prend-on à dire, la justice légale accorde au crime même des circonstances atténuantes ; elle autorise le juge à discerner entre la perversité calculée et l’entraînement de la passion ; elle tient compte de ce redoutable mystère de la fatalité des passions, et, par les degrés qu’elle établit dans la peine, elle fait en sorte de frapper ce qui appartient à la volonté et d’absoudre ce qui n’est que l’aveugle impulsion de la nature. Avec combien plus de justice une grande société ne doit-elle pas se montrer indulgente pour les égaremens du génie ? Contradiction cruelle ! Dans son admiration pour ce don supérieur, elle le caractérise par tous les mots qui peignent le plus fortement la passion. Enthousiasme, feu poétique, souffle divin, c’est à peine si elle y souffre la raison, comme sentant trop le ménage, et, si cette irresponsabilité qu’on fait au génie l’emporte hors des voies communes, elle le punit comme un coupable qui aurait agi avec tout le sang-froid de la volonté.

Voilà les premières pensées que fait naître la lettre à M. D’Israëli, et l’on a peut-être raison d’en garder quelque chose ; mais on finit par se ranger, sinon parmi les sages qui condamnèrent, du moins parmi les bons qui regrettèrent, c’est-à-dire qui laissèrent partir lord Byron. S’il est quelque chose de plus respectable que le génie, c’est sans doute une nation qui défend ses mœurs. Qu’il y ait dans ces mœurs des préjugés, une nation qui croit qu’on ne peut livrer les uns sans compromettre les autres fait bien de défendre ses préjugés pour garder ses mœurs. Elle témoigne par là de son intelligence, car elle comprend qu’en voulant séparer de force les erreurs des vérités, on s’expose, pour grand nombre de gens, à désagréger les fondemens de leur vie morale. Parmi ce qu’on appelle les préjugés, combien qui ne sont que des vérités abaissées à la portée de la foule ! Cetlte nation le sait, elle sait qu’une certaine philosophie qui fait profession de les attaquer n’est qu’un art cruel d’ôter à la foule les seules vérités qui soient à sa main. Sans doute cette philosophie est un droit de l’esprit humain ; mais j’aime qu’une nation intelligente lui fasse contrepoids par un autre droit, son droit de se conserver en conservant ses mœurs. J’aime surtout la manière dont s’y prend l’Angleterre. Ce n’est point par des lois, comme le remarque amèrement lord Byron, qu’elle se protége contre les séductions de son doute ou les attaques ouvertes de son dédain ; les arrêts des lois rendent les condamnés populaires : c’est du fond des consciences émues que sortait ce souffle redoutable qui le poussa doucement hors de son pays.