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mois paraissait la septième de la Fiancée d’Abydos, publiée en décembre 1813. Le Corsaire, commencé le 18 décembre 1813 et terminé le 31, paraissait en janvier 1814, et, dans son numéro d’avril, l’Edinburg Review parlait de la cinquième édition. Les comptes-rendus coûtaient certainement plus de temps que les poèmes. C’est ainsi qu’une voix de poète trouvait à se faire entendre dans le fracas de la fortune croulante de Napoléon. Un poète charmait, avec des descriptions et des contes de l’Orient, l’Angleterre épuisée et saignante. Les imaginations étaient partagées entre l’incendie de la flotte du pacha par le corsaire[1] et les batailles de Dresde, de Leipsig, d’Hanau, de Vittoria La mort de Sélim, dans la Fiancée d’Abydos, celle de l’aimable Zuléika, attristèrent l’Angleterre dans les derniers jours de 1813 ; elles troublèrent du moins la joie qu’on y avait de voir toutes les places fortes de l’Allemagne évacuées par cent mille de nos vieux soldats se retirant devant la coalition, à la suite de l’aigle impériale blessée à mort dans les plaines de Leipsig.


II. – EXIL VOLONTAIRE DE LORD BYRON. – DES CAUSES DE LA DISGRACE DE L’HOMME DANS LA PLUS GRANDE POPULARITE DU POETE.

Cependant, au plus fort de la popularité de lord Byron, un orage s’amassait sur sa tête : exemple unique peut-être d’un pays où, tandis que les imaginations sont sous le charme du poète, les mœurs se révoltent sourdement contre l’homme. À l’expression de l’admiration la plus sentie pour les beautés poétiques de ses ouvrages, les Revues avaient mêlé dès le commencement des réserves sur ses opinions. Ces réserves devinrent plus précises et plus sévères à mesure que le poète grandissait, sans toutefois que l’admiration se refroidît. Malgré les déclarations de lord Byron, on s’obstinait à le reconnaître sous ses héros et à le rendre responsable de leurs sentimens. Ce qui avait transpiré de sa vie ne confirmait que trop ces soupçons d’identité. Les voûtes de Newstead n’avaient pas été discrètes, et ce qu’on en racontait eût effarouché même une société moins prude que la société anglaise. En France, où nous sommes à la fois plus faciles et plus littéraires, la critique ne touche pas à la personne et ne confond pas la liberté spéculative de l’écrivain avec la conduite de l’homme. Pour lord Byron, si les attaques littéraires ne lui manquèrent pas[2], de plus sensibles coups furent portés au penseur impitoyable, au sceptique qui jetait l’ironie sur tout ce que respectent les sociétés humaines, à l’Anglais se raillant des institutions et des passions de son pays. Ses amis même prirent

  1. Le Corsaire, chant II.
  2. On alla jusqu’à lui reprocher le plagiat,