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doux, ce front inspiré, que couronnait une chevelure bouclée naturellement, cette pâleur qui trahissait à la fois la passion et la mélancolie, ce cou antique, autour duquel était nouée avec une négligence complaisante une cravate qui n’en cachait ni la forme ni la blancheur. On avait reconnu, avant le fameux pacha de Janina, sa naissance aristocratique à la petitesse de ses oreilles et à la blancheur de ses belles mains[1]. La gravure avait rendu populaire le beau portrait peint par Philipps, lequel respire à la fois la passion, la jeunesse et le génie[2]. Les contemporains ne l’avaient vu qu’enfant, adolescent ou jeune homme, avec la triple beauté de ces trois âges charmans, et sa mort n’avait été que la fin de sa jeunesse. Si telle est l’auréole que met au front de l’écrivain la gloire des créations romanesques, qu’elle fit trouver beau Jean-Jacques Rousseau après ce qu’il appelle sa réforme somptuaire, lorsqu’à quarante ans il quitta la dorure, les bas blancs, l’épée et le linge fin, et qu’il prit une perruque ronde, quelle impression ne dut pas faire lord Byron, lui qui n’avait qu’à copier ses propres traits pour donner à ses héros toute la beauté que pouvait leur prêter l’imagination des femmes de son pays !

Je ne dois pas oublier le charme suprême ; cet homme à la fois noble, jeune, beau, riche de tous les dons de l’esprit, cet homme était un grand poète. La poésie relève tout : l’auteur, si sa personne est au-dessous de ses talens ; l’œuvre, si le sujet ou les pensées ne sont pas dignes de l’art. Les personnages d’un roman n’excitent pas la même admiration que les héros d’un poème. La prose romanesque peut faire des types de fantaisie, la poésie seule a le privilège de faire un idéal. Les attaques contre les opinions ou les mœurs d’une société dans un roman en prose, fût-elle d’un Rousseau ou d’un Chateaubriand, ne seront jamais qu’une polémique éloquente. Dans les vers d’un grand poète, ces mêmes attaques prendront la couleur d’un suprême dédain jeté du haut des sphères supérieures sur les intérêts subalternes qui s’agitent en bas. Telle est l’illusion que nous fait la poésie. La beauté y est plus belle, et la laideur y paraît moins. Il semble que rien de vulgaire ne s’ose produire dans cette langue privilégiée, ni qu’un poète de génie puisse être jamais un libelliste ou un factieux.

Telles ont été, si je ne m’abuse, les causes de la popularité de lord Byron de son vivant. Cette popularité fut comme une fièvre. Aucun auteur n’a attiré sur lui une attention plus générale et plus ardente. Le débit de ses poèmes est un des faits les plus curieux de l’histoire des lettres. Le Giaour, qui suivit les deux premiers chants de Childe-Harold, avait été publié en mai 1813 ; neuf mois après, en janvier 1814, la critique rendait compte de la onzième édition[3]. Dans le même

  1. Il lui en fit le compliment. Lettres de lord Byron à sa mère.
  2. Ce portrait se voit dans la belle galerie de Newstead au-dessus de la cheminée.
  3. Quarterly Review, année 1814.