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et du mal poussé jusqu’au crime. Seulement, le bien est à l’honneur du personnage, et le mal à la charge de la société, qui n’a pas su lui faire assez de place ni lui donner assez d’air. C’est par sa volonté qu’il est grand ; c’est par les circonstances qu’il devient criminel : type séduisant et qui plaît aux femmes de tous les pays, sans doute par notre faute à nous, qui ne leur donnons à voir qu’un mélange bourgeois de petites qualités et de grands défauts.

À l’attrait singulier de ce contraste, le personnage favori joignait la première des graces de l’homme aux yeux des femmes, son plus beau titre, dit-on, auprès du sexe anglais, la fidélité. Tous les héros de lord Byron sont fidèles. Le Giaour, Selim, dans la Fiancée d’Abydos ; Conrad, dans le Corsaire et dans le roman où il reparaît sous le nom de Lara ; Hugo, dans Parisina, sont des types de la fidélité dans l’amour[1]. L’aîné de ces enfans du poète, Childe-Harold, qui, dès la jeunesse, est dégoûté de tout et même de lui, qui voyage pour se fuir, et qui semble en vouloir à tout le monde de sa satiété, garde pourtant au fond du cœur, comme un dernier reste de vertu, le souvenir d’un amour unique. « Il n’avait soupiré que pour trop de femmes ; mais il n’en avait aimé qu’une[2] ! » Enfin, il n’est pas jusqu’à don Juan qui, dans ses nombreuses amours, ne soit fidèle à sa manière. Très différent de son prototype, il n’aime qu’une femme à la fois, et, s’il la quitte, c’est par nécessité et non par caprice. Il pousse la fidélité au souvenir d’Haïdée jusqu’à refuser les faveurs d’une belle sultane. Il est vrai qu’il succombera plus tard aux tentations dont le poursuit à plaisir le poète, mais il a toujours l’air d’un amant de la façon du Giaour et de Conrad, qui subit plus qu’il ne recherche les bonnes fortunes de don Juan.

Par toutes les opinions que lord Byron prête à ses héros, par ce mépris qu’ils affichent pour les habitudes et pour les devoirs de la vie sociale, par ce parti pris de persuader au monde qu’il n’y a d’héroïsme qu’au prix de vices extraordinaires, ni de grandes vertus que dans ceux qui méprisent les petites, il n’est que trop vrai qu’il offensait grièvement les mœurs de son pays ; mais il leur faisait la plus sensible de toutes les caresses en donnant à ses personnages le mérite de la fidélité dans l’amour. En Angleterre, quoiqu’il ne faille pas s’y trop fier aux apparences, on ne connaît pas, à proprement parler, la galanterie. L’idée de la fidélité dans l’amour est une tradition, ou, si l’on veut, une illusion nationale. Pour lord Byron, peut-être a-t-il voulu qu’on l’en crût capable, peut-être au fond de son cœur en a-t-il sincèrement adoré l’idéal. L’amour unique, la fidélité à cet amour, n’est-ce donc pas plutôt une rareté qu’une chimère ? Que ceux qui ont aimé disent si l’on aime deux fois. Il y a plus d’un lien ; il n’y a qu’un

  1. Lara, tale, II, st. I.
  2. Childe-Harold, tale, I, st. V.