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thinkers, ce plaisir était une sorte de délivrance. Ils savouraient cette hauteur de mépris pour les choses les plus respectées, cette haine de tous les jougs, et, avec les sauvages douceurs de l’indépendance, ses tristesses et ses découragemens. Le spleen anglais se reconnaissait à cette maladie de la plénitude qui travaille Childe-Harold, à ce cœur que la sensualité a endurci, à cet égal dégoût des affaires et des plaisirs, à cette dégradation que traverse de temps en temps un remords, et qui d’ailleurs est moins l’effet de la perversité du cœur que d’un violent désappointement après l’épreuve des choses humaines.

Pour ceux, au contraire, qu’effarouchait tant d’audace, le plaisir, moins avoué, n’était pas moins grand. On peut avoir assez de vertu pour accepter, par la considération de leurs avantages politiques, toutes les barrières, toutes les hiérarchies, toutes les gênes de la société anglaise ; mais était-il une vertu capable de résister à la tentation de s’en émanciper un moment, sous prétexte de lire des poésies nouvelles ? On tâtait ainsi de la liberté de penser sous la responsabilité d’un autre ; on osait s’occuper d’autrui, se parler à soi-même de soi, et ce dont on se privait dans la conversation, la lecture en donnait le plaisir sans le scandale. D’ailleurs, une infraction à la règle raffermit quelquefois l’amour de la règle, et qu’était-ce que cette infraction ? Un coup d’œil sur un livre, un nuage de doute qui passe, une nudité qu’on a vue malgré soi. Libérateur pour quelques-uns, tentateur pour le plus grand nombre, Byron était admiré de tous. Le petit nombre même que l’âpreté d’une opinion militante, une position en vue, une foi plus à l’épreuve, irritaient contre les séductions du penseur, rendait les armes aux beautés du poète. Chacun faisait une secrète et étrange amitié avec lord Byron.

Est-ce à dire qu’on parlât beaucoup de lui dans les compagnies ? Du libre penseur, personne ; mais on louait le poète, comme on loue toutes choses en Angleterre, par des généralités, et tout le monde secundum formulam. Un témoin de cette grande popularité de lord Byron me donnait cet échantillon de ce qu’on en disait : — Avez-vous lu le nouveau poème ? Very beautiful ! disait l’interlocuteur avec une interjection étouffée. C’était tout. Les beaux esprits citaient un passage, le plus innocent, une description, jamais une pensée ni une peinture morale qu’il leur fût impossible de louer ou de blâmer sans se découvrir. Les plaisans nommaient les ouvrages scabreux devant les dames pour voir si quelque rougeur ne trahirait pas sur un beau visage une lecture interdite. L’Angleterre goûtait au fruit défendu, mais elle ne voulait ni se l’avouer ni qu’on le lui dît.

Ce fut la cause la plus générale du succès de lord Byron. Il réussit en outre auprès des femmes par une cause particulière et romanesque. Elles s’éprirent secrètement de ses héros, ou plutôt du caractère unique qu’il a donné à tous, de ce mélange du bien élevé jusqu’à l’héroïsme,