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la raison, c’est qu’on ne parle que de ce qu’on sait, et qu’on ne croit pas savoir la politique. Sur la religion, entre dissidens, on ne dispute pas, on évite le sujet ; entre conformistes, on s’entend, et tout est bientôt dit. Quant aux choses de l’esprit, comment en parlerait-on sans parler des autres ou tout au moins de soi ? Il faudrait dire son goût, et dire son goût, c’est s’ouvrir. Mais quoi ! si l’on ne parle ni du gouvernement, ni de la religion, ni des choses de l’esprit, ni des personnes, ni de soi-même, de quoi parle-t-on donc ? Des environs, des alentours de toutes ces choses, mais point des choses elles-mêmes. On parle de tout ce qui n’engage pas la conscience et ne découvre pas le fond, par exemple du pique-nique, de la visite à la ruine, ou bien du prédicateur à la mode, ou bien du procès criminel qui remplit les colonnes des journaux, et de la pluie donc ! le climat en renouvelle à chaque instant le sujet, et du beau temps quand on le peut. Les chasseurs de renard et les country gentlemen s’entretiennent de chevaux, de chasse et d’élections ; c’est leur conversation d’avant le déluge. Les dissidens se demandent s’ils ont assisté à tel Bible-.Meeting, lu le livre de la Paix parfaite, entendu tel sermon ; combien ont donné les troncs, soit pour la conversion des Juifs, soit pour la fondation d’une école dans une des îles de l’Océan Pacifique. Chaque question reçoit une réponse catégorique, et ce qu’on appelle en Angleterre se renvoyer la balle de la conversation consiste en une sorte de catéchisme par demandes et par réponses. La conversation est générale, facile ; chacun y fait sa partie, et personne ne manque la note ; il est vrai que le concert est un peu fade. On y rit, et souvent ; est-ce d’une plaisanterie maligne ? est-ce de quelque pointe de gaieté échappée à un imprudent qui s’émancipe ? Non. Le rire est la forme d’adhésion à ce que disent les gens. On est d’abord surpris de cette facilité de parole propre à toutes les personnes sans exception, et de ce rire si fréquent chez une nation si sérieuse ; mais bientôt tout s’éclaircit. Cette facilité est celle de gens qui répètent un formulaire ; ce rire n’est que l’approbation la plus obligeante et qui engage le moins.

Dans la société anglaise, on se fréquente, on ne se lie pas ; on parle, on ne cause point. C’est commode pour les gens qui n’ont pas de moi ; mais n’en coûte-il pas beaucoup aux esprits distingués ? Ils se gardent pourtant de troubler le concert, ils étouffent leur originalité pour ressembler à tout le monde. S’il en est qui éclatent, qui véritablement parlent pour dire ce qui se passe en eux, chez nous, ce seraient des gens d’esprit ; , en Angleterre, ils sont affichés : voilà les excentriques.

En effet, l’esprit est tout près d’y être une bizarrerie. En France, on aime tant l’esprit, que tout le monde y aide ; les gens qui en ont sont fort goûtés, c’est tout simple ; dans les louanges que nous leur donnons, nous croyons prélever notre part. En Angleterre, l’esprit ressemble plus