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ait à craindre une peine quelconque ; c’est que sur ce point, comme sur tous les autres, les mœurs tempèrent la liberté. Vous serez à la fois effrayé de ce qu’on y dit et étonné qu’on n’en dise pas davantage. Comment la nation est-elle si modérée là où l’individu peut impunément être si violent ? C’est que la contrainte sociale y fait contrepoids à la liberté politique.

Il s’en faut que nous soyons un peuple aussi libre que le peuple anglais, et à qui la faute ? Il s’en faut tout autant que la société anglaise soit une société aussi agréable que la nôtre. Sur ce point, notre avantage n’est pas médiocre. Nous ne goûtons pas moins que nos voisins la vie de famille ; mais ils ne connaissent pas comme nous les douceurs de la vie de société. Nous ne nous barricadons pas chez nous ; la maison appelle la compagnie. La plus grande pièce n’est pas celle où se tient la famille, c’est celle où l’on reçoit les amis, c’est le salon, pour lequel bien des gens se logent mal : c’est le travers de cet esprit de société. Là nous causons fort librement, même des sujets défendus ; là les esprits se mêlent, se polissent, font jaillir les mots heureux ; là chacun paie de sa personne, parle de soi, parle des autres, qui le lui rendent : aimable privilège de la France, et qui nous fait faire beaucoup de fautes, parce qu’il nous en console.

Je ne dis que ce que tout le monde sait. Nous sommes les premiers par la conversation, parce que nous sommes la société la plus libre du monde ; et si notre conversation est si excellente, c’est qu’on y parle beaucoup des autres et de soi. Pour peu que, dans ce qu’on dit des autres, l’indulgence tempère la malice, et que, dans ce qu’on dit de soi, la candeur corrige la bonne opinion, il n’y a rien au-dessus de cette conversation-là. C’est la seule originale. On ne cause pas sur le gouvernement, sur la religion, même sur les lettres ; on décide, on tranche. Il se fait sur ces sujets de brillans monologues, il n’y a pas de conversation. Et puis la langue du jour y a trop de part : c’est plus ou moins un discours de tribune ou un article de journal. On n’est original qu’en parlant des autres ou de soi. Il n’y a pas de matière où ce que nous disons ne vienne plus de nous, et pour peu qu’on ait d’esprit, c’est là qu’on en a Voyez le même soir, dans la même compagnie, le contraste des discours sur les matières générales et des conversations sur les gens. La langue des généralités semble avoir été ramassée dans tout ce qui s’entend et ce qui se lit chaque jour ; mais ce qu’on dit des gens a toutes les graces de la charmante langue française, telle que l’invente à chaque instant tout homme d’esprit qui sent et s’exprime vivement.

L’Angleterre n’a pas de conversation, parce qu’on n’y parle ni des autres ni de soi. Y parle-t-on du moins de la politique, de la religion, des choses de l’esprit ? Guère plus. Sur la politique, on est fort réservé ;