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pensées. Son éducation royale se fait au milieu des fortes populations de la montagne, en présence d’une vierge et magnifique nature. C’est le curé Wigand qui a les honneurs du troisième livre, et ici la fantaisie vient encore se substituer à l’inspiration sérieuse. Nous sommes revenus à Vienne ; Otto gouverne l’Autriche ; Nithard continue de chanter le printemps, et Wigand est installé dans son presbytère de Kahlenberg ; ce presbytère, c’est proprement une abbaye de Thélème, et le curé Wigand ressemble fort au frère Jean des Entomeures. Les architectes du moyen-âge ne craignaient pas d’introduire les plus audacieuses bouffonneries dans leurs saintes constructions gothiques ; on ne s’étonnera pas que le curé de Kahlenberg ait consacré son église par des repas et des danses d’une bonhomie burlesque. Il y a des instans où l’église tout entière semble se conformer à la pensée du joyeux personnage ; les statues font des grimaces, les figures des vitraux éclatent de rire, c’est toute une ronde extravagante. Le curé de Kahlenberg finit cependant comme le poète Nithard et comme le duc Otto : il devient grave, les pensées sérieuses se dégagent de la folie qui les recouvre, et le brave homme écrit le journal de ses méditations. La dernière scène nous représente les trois amis, le duc, le poète et le curé, dans le presbytère de Kahlenberg. Le verre en main, animés par la dive bouteille, animés surtout par le feu des saillies qui se croisent, les vieux compagnons dissertent sur la vie humaine. Le résumé de cette philosophie, c’est une ardente improvisation du curé, un hymne au droit éternel, ou plutôt c’est une dernière explosion de bouffonnerie et d’enthousiasme ; il y a comme des éclairs inattendus au sein de cette bizarre obscurité ; on aperçoit comme des flammes soudaines au milieu des fumées de l’ivresse.

Si ce temps-ci pouvait s’accommoder de choses frivoles, si nous avions encore les loisirs qui ont vu naître la puérile école de l’art pour l’art, je dirais que le mérite de ce poème est surtout dans la forme, dans l’éclat un peu maniéré du style, dans les élégantes richesses des détails. Pour la conception même, quel jugement en porter ? Quelle est.au milieu de ces capricieuses arabesques la véritable pensée de l’écrivain ? M. le comte d’Auersperg dédie son livre à M. Nicolas Lenau, à ce noble poète dont la raison s’était voilée il y a plusieurs années déjà, et que l’Allemagne vient de perdre ; il lui dit :

« Bien que ta bannière fût d’un noir sombre, et la mienne couleur de rose, elles ne marchaient pas dans des rangs contraires. Toutes deux elles s’inclinaient devant la Liberté, qui avait filé leur tissu.

« Nous suivions ses traces jusque dans les sombres ravins du passé, toi à travers les sanglantes batailles de l’esprit, et moi par des sentiers plus heureux.

« Tu la voyais s’approcher comme sur un pont de glaives entre-croisés avec