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dans cette partition, un trio étincelant de bouffonnerie et de verve. Seulement, cette bouffonnerie et cette verve sont-elles bien à leur place ? Si l’auteur a voulu faire une peinture railleuse du présent, ses héros, sous leur masque puéril, ne ressemblent-ils pas à des revenans d’un autre siècle ? Si ce sont des conseils qu’il donne à l’état sous les voiles prétentieux du symbole, ces conseils sont-ils dignes de la gravité des circonstances et de la virile énergie de l’esprit nouveau ? Le conseiller est-il lui-même dans le droit chemin ? Le rêveur pantagruélique est-il bien sûr de ne pas être dépaysé depuis tantôt trois ans ? J’ai grandement peur que M. d’Auersperg, malgré la distinction de son talent, ne soit resté le même quand tout le monde a changé.

Voyez d’abord comment il comprend le rôle du poète, car c’est au poète Nithard qu’est consacré le premier livre de la trilogie. Nithard, dont on montre encore le tombeau dans l’église Saint-Étienne de Vienne, était le chanteur de l’aristocratie, et c’est surtout par ses querelles avec les paysans qu’il s’est rendu célèbre. Son grand plaisir, dit-on, était de jouer force tours aux crédules populations des campagnes ; de là, entre le trouvère et les manans, toute une guerre burlesque. Le chant intitulé Guerre des Paysans nous montre la lutte ouverte ; les paysans et le poète sont aux prises, et l’avantage, comme on pense, est du côté de l’esprit et de la ruse. Le poète Nithard, profitant de la crédulité de ses ennemis, leur inspire des folies singulières. À ceux-ci il annonce que l’ère du paradis terrestre va s’ouvrir, il leur persuade de quitter leurs vêtemens, et les entraîne sur ses pas, aux sons de ses cantiques, dans le costume d’Adam avant la chute. À ceux-là il prêche la pénitence avec des paroles si persuasives, avec de si effrayantes images, que ces bonnes gens s’empressent de se flageller eux-mêmes jusqu’au sang ; il y en a d’autres qu’il affuble de robes noires pendant leur sommeil, et moines, flagellans, adamites, promènent par les campagnes, à la grande joie de Nithard et de ses compagnons, la plus étrange mascarade qu’on puisse voir. Tout cela est raconté avec grace, avec esprit, nous le voulons bien ; mais la grace et l’esprit touchent ici de bien près à la frivolité. Le second chant, intitulé Otto, nous transporte heureusement sur un théâtre bien différent ; le duc d’Autriche, Albert-le-Sage, a chargé le duc Otto, son frère, d’aller recevoir le serment de fidélité de ses vassaux de Carinthie. Tel est le vieil usage, tel est le vieux droit. Ce n’est pas la Carinthie qui doit envoyer ses représentans à Vienne, c’est le duc d’Autriche qui est tenu de venir lui-même recevoir la couronne et le serment de vasselage. Le duc Otto est parti, accompagné du poète et du curé. Le voici dans les montagnes, devisant avec ses deux amis, abrégeant la route par maintes confabulations pantagruéliques ; mais insensiblement la majesté des Alpes, la religieuse beauté des forêts et des solitudes ouvre l’aine du joyeux duc à de plus hautes