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les premiers hommes, ahuris et sans espoir, ayant à conquérir rudement tout ce qu’ils ont acquis, leur morale comme leur science : d’abord, les luttes contre les élémens pleins de menace et les combats d’homme à homme, de tribu à tribu ; puis les labeurs de la civilisation matérielle et intellectuelle, la lutte contre l’ignorance, l’effort pour organiser des statuts sociaux, des rapports inter-individuels ; enfin les tentatives pour réformer les institutions organisées, la lutte contre les causes de souffrance et contre les injustices. Dans un chapitre préliminaire, M. Éliot explique ce qu’il entend par la liberté. La liberté, dit-il, c’est la faculté d’exercer des aptitudes, de faire ce que l’homme peut faire ; elle implique donc deux choses, des facultés ou puissances, et des arrangemens sociaux qui leur permettent de se développer. L’histoire de la liberté est ainsi avant tout l’histoire des facultés, et, comme il a plusieurs espèces d’énergies, il y a plusieurs espèces de libertés : celle qui consiste uniquement dans le libre exercice des forces physiques ; — celle qui permet à la fois aux aptitudes intellectuelles et physiques de se développer en s’appliquant aux arts, à la science des choses, à la législation ; — enfin, la liberté, qui est la possession et le libre exercice non-seulement des énergies physiques et intellectuelles, mais encore des besoins moraux et des sentimens affectueux, cherchant sans cesse à se satisfaire et à se développer dans les rapports individuels et sociaux.

Ce point de vue nous plaît. Il revient à dire ceci : c’est que M. Éliot entreprend son voyage à travers le passé avec cette idée suffisamment nette que le degré de développement des nations, leur supériorité ou leur infériorité relative se mesure au nombre des agens spirituels qui existent chez elles, qui peuvent y fonctionner, et qui, par leurs actions et leurs réactions, enfantent les phénomènes de leur vie sociale. Avec ce critérium, l’historien nous fait voir dans l’Inde l’immobilité presque absolue : une seule caste ayant droit (le vouloir et de penser ; une religion qui prolonge les distinctions sociales au-delà de la vie et qui ne permet d’espérance qu’au brahme. En Égypte et en perse surtout, la royauté, appuyée sur les guerriers, vient étendre à une autre classe d’hommes la liberté de vivre. Le soldat partage avec le prêtre le privilège d’espérer et de donner carrière à son activité. En Grèce, une nouvelle barrière tombe : les castes se mobilisent, la fortune, que tous peuvent plus ou moins espérer d’acquérir, devient le moyen de répartir les individus entre les diverses catégories auxquelles sont attachées les diverses libertés, personnelles, sociales et politiques. La religion, d’ailleurs, émancipe l’homme des terreurs primitives : au lieu du panthéisme indien, qui niait l’individu et qui l’absorbait dans l’unité divine immuable et éternelle en lui répétant : Tu n’es rien ; au lieu du dualisme persan avec ses deux personnifications de la vie et de la mort, du bien qui s’isolait au ciel, et du mal qui avait créé la terre, la Grèce a ses mille divinités parmi lesquelles chaque idée peut trouver son prototype, chaque question sa réponse, chaque désir son patron qui le légitime et s’occupe exclusivement de lui ; elle a ses multitudes de dieux avec lesquels l’homme fraternise, qu’il regarde comme des êtres de son espèce, et dont le culte exhilarant encourage la joie, la confiance et les fêtes.

À Rome, un nouveau progrès s’accomplit encore : tandis que les vaincus et les non-citoyens étaient restés en Grèce à peu près exclus ode tous les droits, à