Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/366

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui est à même d’intervenir activement dans le cours des choses, a par cela seul un motif très suffisant de n’en parler jamais que pour en parler de manière à les diriger dans le sens où il voudrait qu’elles aboutissent, celui-ci d’un côté, celui-là de l’autre, mais chacun avec une passion exclusive qui est une grace d’état et un devoir de position, chacun en se ménageant beaucoup la vérité sur ses hommes ou sur sa fortune, pour ne la point ménager à ses adversaires. Il est parfaitement avouable d’en user ainsi, quand on se sent au fort de la mêlée. Nous, dont les réflexions de quinzaine ne peuvent pas toujours tomber au plus vif du combat, nous sommes plus aisément de sang-froid. Garder son sang-froid est cependant, par malheur, une liberté déplaisante pour ceux qui ont perdu le leur, ou qui désirent qu’on perde le sien : nous ne l’ignorons pas ; mais où serait notre raison d’être vis-à-vis du public, si nos appréciations, arrivant d’habitude à distance des faits, n’étaient pas plus calmes et plus neutres que celles qu’arrachent à première rencontre tous les incidens politiques ? Nous aussi, nous avons nos choix d’affection pour certaines personnes, nos vœux beaucoup plus décidés pour telle solution que pour telle autre : nous inclinons seulement à penser que le public n’est point fâché qu’on s’exprime quelque part avec une honnête franchise sur toutes les solutions et sur toutes les personnes. Or, il n’y a guère que nous qui, par nature, n’ayant point de poste indispensable dans les mouvemens stratégiques des partis, puissions nous permettre cette sincérité devant laquelle tous les partis sont égaux. C’est une tâche trop peu agréable pour qu’on aille de gaieté de cœur au-devant d’elle ; il y a néanmoins à l’accepter assez d’honneur pour ne point l’éluder tout-à-fait.

La souveraine ambition de la Chronique, c’est donc de refléter fidèlement d’intervalle en intervalle les aspects du temps présent. Pour être ainsi ce véridique miroir qu’elle souhaiterait d’être, il faudrait qu’elle fût écrite comme on écrivait jadis ses mémoires, en ne songeant qu’à se consoler, à s’égayer ou à s’instruire soi-même dans son coin. Il faudrait pouvoir raconter ses impressions avec aussi peu de scrupules, avec une ame aussi dégagée que si la page à peine noircie dût être enterrée plus de vingt ans. Nous nous sommes pris parfois à désirer qu’il y eût n’importe où des gens assez désintéressés et assez candides pour rendre à la postérité le recommandable, service de lui dire naïvement les aventures contemporaines. La Chronique serait l’endroit le plus propre à recueillir de pareils témoignages. Sa situation, qui, sans être l’isolement, n’en est pas moins, pour ainsi dire, une situation détachée, lui permettrait d’en disposer assez à sa guise. Elle diminuerait ainsi peut-être la besogne des Saumaises politiques de l’avenir en leur livrant le sens des choses, caché, selon le besoin des tactiques différentes, sous les ambages des mots. Elle fournirait aux futurs amateurs de curiosités historiques le rare plaisir de trouver dans quelques-uns de ces feuillets épars les affaires dites tout bas et en toute conscience par un homme du temps. Voilà l’idéal de notre impartialité ; mais il nous faudrait, pour l’atteindre, écrire sous la dictée d’un sage qui fût à la fois au désert et à la ville ; or le sage nous manque, et jusqu’à ce que nous l’ayons rencontré, nous n’avons qu’une ressource pour suppléer à son absence : c’est de recevoir sur tout le monde les confidences de tout le monde en corrigeant de notre mieux les indiscrétions.