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Une illusion d’optique avait entraîné tous ces esprits généreux. Les socialistes d’aujourd’hui sont les dupes d’un mirage semblable. Ce n’est plus par l’emprunt, c’est par l’assurance qu’ils veulent désormais remplacer l’impôt. Sous la restauration, l’école libérale, exagérant la critique du pouvoir jusqu’à confondre le principe avec l’abus, considérait le gouvernement comme un mal nécessaire, comme un ulcère attaché aux flancs de la société. Aujourd’hui l’école socialiste reporte sur l’impôt cette haine aveugle. L’impôt n’est-il pas, selon M. Pelletier, « l’ennemi du peuple et le mauvais génie des gouvernans ? »

Examinons cependant si la solution présentée par le socialisme en 1850 vaut mieux que celle qui avait été indiquée par ses précurseurs en 1831. Il s’agit toujours pour l’état de prendre dans la bourse des citoyens les sommes destinées à défrayer les dépenses publiques. Seulement l’impôt serait prélevé a titre d’assurance pour les propriétés que les imposés possèdent, et les contribuables porteraient, sur les registres du fisc, le nom d’assurés. Ce système, qui paraît être le mot d’ordre du parti, est exposé par M. Pelletier dans les termes qui suivent :

« Oui, les bénéfices sur les assurances et les autres services rendus seraient payés par les citoyens ; mais n’y a-t-il donc aucune différence entre un capital assuré, comme je le demande, et un capital imposé, comme il l’est actuellement ?

« Aujourd’hui l’on demande à la terre, aux maisons, au travail et à ses instrumens, de l’argent, beaucoup d’argent, et, s’il leur arrive malheur, si la grêle ravage les champs, si l’épizootie rend désertes les étables, si l’incendie et l’inondation détruisent quelques propriétés, on les abandonne à leur malheureux sort ; que dis-je ? on les abandonne ! on y fait passer le fisc pour s’informer s’il n’y a pas quelque chose à dévorer encore !

« Par les assurances et autres services rendus, au contraire, l’impôt, si toutefois on peut appeler impôt la rémunération d’un service rendu, l’impôt, dis-je, serait juste, proportionnel et léger.

« Il serait léger, parce qu’il n’assurerait les objets qu’à 2 pour 100 et jusqu’aux trois quarts seulement de leur valeur vénale, afin d’intéresser les assurés à la conservation de leur fortune et de les empêcher de spéculer sur des désastres.

« Il serait proportionnel, parce que celui qui posséderait beaucoup paierait beaucoup, celui qui posséderait peu paierait peu, et celui qui n’aurait rien à assurer ne paierait rien.

« Il serait juste, parce qu’après avoir demandé à chacun selon ses facultés, si le malheur venait à passer quelque part, aussitôt il y courrait, réparerait le mal, consolerait les affligés, et veillerait à ce que cela n’arrivât plus, ou arrivât le moins possible. »

Ainsi l’état, en se faisant assureur, devrait élever la prime d’assurance à un taux qui non-seulement couvrit les sinistres, mais qui lui