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de l’Europe. Or, la Prusse a une armée qui excède deux cent cinquante mille hommes ; l’Autriche garde encore plus de quatre cent mille hommes sous les drapeaux, et la Russie en compte près du double, sans parler de l’Angleterre ni de l’Espagne. Est-ce bien avec les 185 millions de M. Pelletier que la république sociale luttera, en gardant l’Algérie et la France, contre un million et demi de soldats ? Les préparatifs d’une guerre défensive nous coûtèrent plus de 500 millions en 1840 ; que serait-ce d’une guerre offensive et de propagande ! Je ne fais pas tort aux socialistes en admettant que le budget de la guerre s’élèverait sous leurs auspices aux proportions qu’il atteignit un moment sous l’empire, et que nous en aurions pour 6 ou 800 millions par année. Le chiffre de M. Pelletier n’est donc qu’une amorce, et, pour s’y laisser prendre, il faudrait n’avoir ni la mémoire de ce qui s’est passé depuis 1793, ni la connaissance des projets que la montagne nouvelle affiche dans ses programmes et dans ses comptes-rendus.

M. Pelletier évalue à 537 millions les frais d’exploitation des monopoles et des industries financières. Quelle que soit l’élévation de ce chiffre, il n’a rien qui doive surprendre, quand on songe que le financier socialiste en attend un produit annuel de 1,600 millions. On s’étonnerait plutôt, et à bon droit, de la faible proportion de la dépense à la recette. N’oublions pas que M. Pelletier a posé en principe que les grandes industries produisaient plus et dépensaient moins dans les mains de l’état que dans celles des particuliers et des compagnies. Ce n’est pas là peut-être une vérité d’expérience ; mais le socialisme, qui nous introduit aux merveilles d’un nouveau monde, en renversant les principes, n’aura-t-il pas aussi le pouvoir de changer les faits ?

Reste un chapitre curieux, qui est à lui seul tout le système. M. Pelletier porte en ligne de compte, pour ce qu’il appelle l’administration générale de la France, une dépense de 62 millions. Dans le budget, tel que l’ont fait un gouvernement et une assemblée dévoués à la cause de l’ordre, l’administration centrale ne coûte que 15 millions. De ce chef tout au moins, M. Pelletier ne réalise pas une économie. Quelles peuvent être les raisons qui légitiment ici une dépense à peu près quadruple ? Les socialistes trouvent que nous avons trop de neuf ministères et de neuf ministres. Leur système n’admet qu’un ministre et qu’un seul ministère, auquel viendront se rattacher autant de sections qu’il y a aujourd’hui de départemens ministériels. Une machine aussi compliquée et aussi lourde que ce ministère unique ne saurait trop prodiguer les millions ; ne faut-il pas en graisser les rouages ? Ce qu’il y a de plaisant, c’est que les socialistes, qui prétendent ainsi abaisser le pouvoir exécutif et le mettre hors d’état de lutter avec le pouvoir législatif, ne s’aperçoivent pas qu’en donnant à un seul homme la charge du gouvernement, ils font du ministère, dans l’ordre administratif,