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— Que puis-je faire ? dit-il d’un air sombre et à voix basse pour ne pas être entendu de sa mère. Tous les autres sont partis ; continuerai-|e à rester enfermé avec les femmes et les enfans pendant que mes camarades se battront contre les bleus, moi qui ai des bras comme eux et du cœur aussi, quoiqu’on en puisse douter à présent ? On persécute nos seigneurs. on chasse nos curés, on pille nos églises, on tue le roi, on nous force à être soldats malgré nous ! Verrai-je tout cela tranquillement ? Faudra-t-il abandonner mes camarades et me laisser appeler lâche, comme on l’a fait ce matin ?

Jean avait serré les poings et élevé la voix malgré lui en prononçant ces derniers mots ; Renée les entendit, et se retourna vivement.

— Non, dit-elle, non ! c’est une injure que tu ne dois ni mériter ni souffrir. Tu as raison. Jean, il faut que tu partes, et j’ai manqué de courage en te voyant hésiter et en ne te disant pas de faire ton devoir. Pars donc, mon pauvre enfant ! La bénédiction de ton père mourant et celle de ta mère, qui priera pour toi, te préserveront peut-être au milieu des dangers ! Mon pauvre Jean, mon fils chéri !

Et, dans un élan de tendresse irrésistible, la mère se leva, jeta ses deux bras autour du cou du jeune homme et le couvrit de baisers et de larmes. Marie s’était attachée à son frère, cachait son visage sur l’épaule de Jean et sanglotait tout haut. Le jeune homme sentit sa résolution vaciller ; il serra sa mère dans ses bras, et murmura à son oreille quelques paroles de regret.

— Non, non, dit Renée en relevant la tête et faisant un effort pour reprendre du calme, non, non, notre chagrin ne doit pas changer ta résolution. Ne pense pas à nous, ne t’inquiète pas de nous ; fais ce que tu as décidé.

Elle détacha elle-même les bras que Marie avait jetés autour de Jean, le pressa encore une fois sur son cœur et le suivit ensuite, sans parler, vers la porte. Le jeune homme décrocha son fusil, le posa sur son épaule, serra le ceinturon auquel pendait son vieux couteau de chasse, et s’avança sur le seuil. Il promena un coup d’œil rapide autour de lui, leva la tête vers le ciel bleu. où la lune nageait dans une auréole de lumière argentée, et descendit les deux marches grossières qui élevaient la maison au-dessus du sol. Dans ce moment. Renée se pencha pour l’embrasser une dernière fois ; puis, s’appuyant sur l’étai de la porte : — Va maintenant, dit-elle d’une voix basse et tremblante.

Le jeune homme étouffa un soupir, passa rapidement la main sur ses yeux, et s’éloigna à grands pas. Son fusil brillait sous les rayons de la lune pendant qu’il descendait la petite colline ; on entendait les feuilles sèches qu’il faisait craquer en marchant ; bientôt on le vit s’avancer dans la plaine au milieu des genêts verts, puis il tourna derrière une haie et disparut. Alors sa mère et sa sœur rentrèrent dans la