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deuil passa, et elle ne s’opposa pas, l’année suivante, à la reprise des danses pendant les vendanges et des ébats joyeux à la fin des moissons. La ferme retrouva son aspect accoutumé ; une place vide au foyer, un chagrin de plus dans le cœur de la veuve, et tout fut dit. Cependant la terrible révolution française grondait déjà sur les hauteurs sociales, et l’écho affaibli de ces sourds mugissemens finit par arriver jusqu’à la ferme de la Jaguerre. Les gentilshommes du pays, chassés de Paris par les événemens politiques, vinrent se réfugier au milieu de leurs vassaux, et leur apprirent les bouleversemens dont ils se doutaient à peine. La chute du roi, les émeutes sanglantes du 21 juin et du 10 août, frappèrent d’horreur cette population, dont les instincts indépendans en étaient restés aux idées de liberté et de fidélité féodales ; mais les paysans écoutèrent ce qu’on leur racontait comme une histoire lointaine qui ne les regardait pas, et peut-être n’auraient-ils protesté que par une réprobation silencieuse, si des vexations personnelles, la conscription et la persécution contre les prêtres ne fussent venues réveiller le bon endormi et troubler les campagnes paisibles de la Bretagne et de la Vendée.

Une sourde agitation courut alors dans le pays. Les idées républicaines de quelques petits propriétaires et de presque toutes les villes exaltèrent encore la résistance des paysans, en donnant, pour ainsi dire, une réalité palpable aux opinions qui les froissaient. On se sépara bientôt en deux partis : les patauds ou républicains furent regardés de mauvais œil d’abord, puis hués et maltraités. Les gentilshommes consentirent à devenir les chefs de la résistance ; quelques bandes se formèrent, s’organisèrent, obtinrent des succès partiels qui enflèrent leur courage, et la guerre de la Vendée éclata. Ce ne fut point partout avec les mêmes élémens et les mêmes apparences. Dans la Vendée proprement dite, des masses de paysans réunis formèrent ce qu’on appela la grande armée. Cette armée eut des généraux, elle en eut trop peut-être ; elle eut de grands succès et de grands revers, qui ont trouvé dans Mme de Larochejaquelein un historien et un poète habile. Presque en même temps la Bretagne devint le théâtre de la cruelle guerre des chouans, et, dans le pays intermédiaire du Marais, Charette organisa des bandes de partisans, qui, tenant un peu à la fois des Bretons et des Vendéens, opposèrent au gouvernement républicain une résistance opiniâtre et courageuse, souillée malheureusement quelquefois par d’odieuses et sanglantes représailles.

Aux environs de Machecoul, le mouvement fut unanime, et bientôt il ne resta dans les fermes que des femmes et des enfans sur lesquels les bandes armées veillaient de loin. Presque tous les compagnons de Jean étaient partis pour rejoindre Charette, et il ne s’était pas encore décidé à les suivre. Il n’avait pas même parlé à sa mère de ses