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brisaient avec fracas sur les flancs et au pied de ce promontoire. Le guetteur pouvait ainsi dominer le fleuve et la pleine mer. Le bruit des vagues qui se heurtaient au-dessous de nous contre la digue de terre qu’elles minaient lentement étouffait le bruit de nos pas. Il était donc facile d’avancer sans être entendu ; mais il ne semblait guère possible cependant d’échapper aux regards du guetteur une fois que nous serions arrivés à la limite du fourré qui couvrait une partie de la colline. Aussi, parvenus à cette limite, fîmes-nous halte. Je crus devoir faire observer au contrebandier qu’il me semblait inutile et dangereux de continuer notre ascension, puisque de l’endroit où nous étions nous dominions à la fois le fleuve et la mer. En effet, sur la nappe immense d’azur et de pourpre qui s’étendait sous nos yeux, nous pouvions distinguer au loin jusqu’aux remous qu’y traçaient les eaux fangeuses du Panuco. Le navire français, au reflet du soleil qui allait se plonger derrière la ligne d’horizon, semblait voguer avec des voiles de feu. Parfois, en s’inclinant sous la brise fraîche qui souffle à la chute du jour, il montrait aussi le cuivre étincelant de sa carène. Ignorant comme je l’étais alors et bercé des contes de nos prêtres espagnols, qui nous dépeignaient les Français comme des hérétiques damnables et damnés, je croyais voir dans les rayons du soleil couchant qui se jouaient à travers les voiles du brick un reflet des flammes de l’enfer. L’idée d’entrer en relations avec les mécréans étrangers me remplissait d’effroi, et j’aurais voulu pour tout au monde pouvoir revenir sur mes pas ; mais il était trop tard : mon serment me liait, et cette journée devait décider de toute ma vie.

Après une courte halte et un moment de silence, le contrebandier me dit que, malgré ma remontrance, il allait se remettre en marche vers le sommet de la colline. — Quant à vous, ajouta-t-il, si vous avez peur, vous êtes libre de descendre.

— Marchons ! repris-je ; mais nous sommes sans armes !

— Nous n’en avons pas besoin, répondit brusquement Albino.

La voix de l’Océan continuait de couvrir le bruit de nos pas ; mais quelques palmiers clair-semés, dont la brise agitait le panache vert, étaient désormais notre seul abri contre les regards du guetteur. Que celui-ci sortît de sa guérite, et nous étions découverts.

— Je risque plus que vous, disait Albino dans les courts momens où, jetés à plat ventre après quelques instans d’une marche précipitée, nous reprenions péniblement haleine ; le guetteur me connaît, et la première balle sera pour moi. — Ces réflexions du contrebandier n’empêchaient pas que je n’eusse de sérieuses appréhensions au sujet du second coup de fusil du garde-côte ; je ne pouvais me dissimuler que je ne fusse en fort dangereuse compagnie avec un homme si connu. Cependant le pavillon aux couleurs espagnoles continuait de flotter à