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marin, et je ne me trompe pas, j’en suis certain ; on vous attend à bord, et je vous y conduirai ; laissons seulement venir le crépuscule.

— N’aurait-il pas été plus simple, répondit celui qu’Albino appelait docteur, que l’homme que vous savez fût venu lui-même sur la plage plutôt que de m’attendre à son bord ?

— C’est possible ; mais il eût couru risque de se faire prendre lui-même et fusiller peut-être, et vous avec lui, tandis que personne ne pourra vous déranger quand vous serez à concerter vos plans ensemble sur le pont ou dans la cabine de son navire. Il est donc plus prudent d’aller vous-même à son bord.

Le docteur parut rassuré par la réflexion pleine de sens du contrebandier, et nous restâmes silencieux, immobiles à notre poste d’observation, attendant le moment où les ténèbres de la nuit nous permettraient de franchir la barre pour rejoindre le navire français. Enfin les derniers rayons du soleil ne doraient plus que les cimes des palmiers et la hauteur où se tenait le garde-côte, quand, après s’être entretenu quelques instans à voix basse avec le docteur, Albino me fit signe de l’accompagner. Après avoir laissé le docteur seul, nous remontâmes ensemble le bord du fleuve. Arrivés, au bout d’un quart d’heure de marche, à l’endroit où son cours se rétrécissait entre deux rives couvertes de roseaux, Albino dégagea d’un des fourrés les plus épais de ces plantes aquatiques une petite pirogue qui s’y trouvait cachée. Nous traversâmes le fleuve, et nous prîmes pied à terre sur le bord opposé. De cet endroit, où croissait une végétation touffue, une rampe douce d’abord, et qui devenait graduellement plus escarpée, conduisait à l’éminence occupée par la guérite du garde-côte.

— Vous êtes chasseur sans doute ? me dit Albino.

— Pourquoi cela ? demandai-je.

— C’est-à-dire, reprit le contrebandier, que vous savez ramper en silence jusqu’au gibier que vous voulez surprendre. Eh bien ! appelez à votre aide toute votre habileté de chasseur, car il nous faut monter jusqu’au sommet de cette éminence sans que le guetteur nous voie ou nous entende, pour jeter de là un coup d’œil sur la pleine mer.

— C’est facile, d’autant plus que le garde-côte est caché dans sa guérite.

— Ce qui n’empêche pas qu’il pourrait vous envoyer dans la tête la balle de sa carabine ; ainsi vous voilà averti, marchons.

J’avais obéi jusque-là passivement aux ordres de mon compagnon, et par amour-propre je lui obéis encore. Après que la pirogue eut été de nouveau cachée sous les roseaux, nous commençâmes à gravir l’escarpement. C’était une langue de terre dont un des côtés bordait le fleuve de Pànuco, et l’autre la mer. À droite, l’eau douce se précipitait en murmurant vers l’Océan ; à gauche, les lames d’eau salée se