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à longue barbe noire, au teint foncé et à l’œil cave et sinistre, qui semblait avoir le mot dans la comédie préparée par don Faustino.

— Mon compère San-Vicente, qui m’a fait dire qu’il m’attendait ici pour une affaire d’urgence.

— Au diable soit votre compère ! s’écria l’homme à la barbe noire.

— Le fait est que celui que je cherche n’est pas ici, répondit le cabo prêt à se retirer.

— Qui sait ? s’écria don Faustino, qui tournait le dos au brigadier.

— Hein ? dit celui-ci, comme s’il reconnaissait la voix qui lui parlait ; qui entends-je ?

— Non pas le compère, mais au moins l’ami chez qui vous le cherchiez, répliqua don Faustino en regardant fixement le sous-officier de dragons. Celui-ci semblait tout à coup avoir vu la tête de Méduse, tant ses yeux dilatés et sa bouche entr’ouverte attestaient de surprise et d’effroi. — Virgen santa ! ce n’est pas possible ! s’écria-t-il en cherchant des yeux la porte. Je cours à la recherche de mon compère.

Le cabo paraissait en effet éprouver la plus forte envie de s’en aller, mais déjà deux hommes gardaient la seule issue par laquelle il pût s’échapper. À l’aspect de la porte ainsi défendue, le brigadier pâlit.

— Eh bien ! mon pauvre José Maria, dit don Faustino d’un ton railleur, je n’étais donc ce matin ni à la barranca del Salto, ni au village de Zapotlanejo, où tu me cherchais avec tant d’empressement, et tes épaulettes d’alférez se feront encore attendre quelques jours.

Ce jeune homme à la figure prévenante, aux manières courtoises, était-il le chef de voleurs que le cabo voulait couper en quatre quartiers ? Don Ruperto m’avait dit pourtant qu’Albino, le fils de son ancien camarade, avait une physionomie repoussante et féroce, qu’il était laid et mal bâti. On m’avait donc caché la vérité. Ce qui me semblait fort clair en tout cas, c’est qu’un des compagnons d’Albino avait attiré le dragon dans un piège en lui promettant de lui livrer son chef, que le cabo ne s’attendait pas à trouver si bien entouré.

— Ah !! mon cher ami, dit le dragon avec une aisance affectée, que je suis aise de te revoir ! mais tu ne me soupçonnes pas, j’aime à le croire, de l’infamie qu’on m’attribue ! J’étais inquiet… je craignais qu’il ne te fût arrivé malheur… c’eût été bien triste pour moi ! ajouta-t-il d’un ton pénétré.

— Je le crois bien, dit don Faustino, j’étais devenu si précieux pour toi… Mais j’ai une triste nouvelle à te donner, mon pauvre José Maria !

— Tu ne vas pas me faire assassiner, je pense ? s’écria le sous-officier, qui était devenu très pâle.

— A quoi bon ? — Canelo ! j’en suis tout heureux, et puisque tu es en bonne santé, mon bonheur est parfait… Adieu.