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— Entre nous, reprit le cabo, je sais à peu près où il est maintenant, ce cher ami. Nous allons cerner tout le village de Zapotlanéjo, dans lequel il courtise, dit-on, une jolie china. C’est là que je compte le trouver et gagner mes épaulettes de sous-lieutenant. Il lui semblera tout naturel que je le fasse contribuer à mon avancement. Je le connais un peu, et entre amis on se doit ces petits services.

— Entre amis, dit Ruperto, on s’aide comme l’on peut.

Le cabo et ses cinq hommes s’éloignèrent dans la direction du village de Zapotlanéjo. — C’est donc un bandit bien redoutable que cet Albino ? demandai-je au capitaine.

— Eh ! mon Dieu, non ; il aime à bien vivre sans travailler.

— Quel homme est-ce enfin ? Le savez-vous ?

— Oh ! sa figure n’est pas prévenante, tant s’en faut. Il a une physionomie repoussante, féroce ; il est petit et mal bâti.

— Alors il court grand risque d’être mal reçu par la belle china.

En ce moment même, un jeune cavalier dont le costume et les manières annonçaient un gentilhomme parut sur la route que nous suivions ; il était monté sur un magnifique cheval bai, et semblait pressé de nous rejoindre. Le capitaine Castaños était évidemment très lié avec le nouveau venu, car à peine furent-ils en face l’un de l’autre qu’ils échangèrent une cordiale poignée de main. Le cavalier qui nous avait rejoints était grand, svelte et d’une physionomie toute prévenante. — Venez donc, mon neveu, s’écria don Ruperto, nous ferons route ensemble, car nous n’avons pas de secrets à nous dire devant ce seigneur, qui est mon ami.

Le jeune homme me salua poliment, fit faire volte-face à son chenal, et nous cheminâmes tous trois vers Guadalajara d’un pas égal. Si court qu’il fût, notre voyage ne devait pas s’achever sans nouvelle rencontre, car à une lieue à peine de Guadalajara nous fûmes accostés par un grand drôle à figure patibulaire. — Vous permettez, mon oncle, n’est-ce pas ? dit le jeune homme en s’arrêtant pour causer avec ce personnage suspect. — A ton aise, mon garçon, répondit le capitaine. Quelques instans après, le jeune homme nous rejoignit, et, toujours silencieux, se remit à trotter à côté de nous. Deux fois encore, avant d’arriver à Guadalajara, le neveu du vétéran échangea quelques paroles à voix basse avec des hommes que le hasard seul amenait sans doute à notre rencontre, et dont la physionomie comme les allures me paraissaient plus qu’équivoques. J’évitai toutefois de témoigner aucune défiance au capitaine Castaños, et nous étions les meilleurs amis du monde, quand nous entrâmes de compagnie dans la ville de Guadalajara.