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menton. La physionomie du cavalier exprimait la bonté et la franchise ; il y avait dans ses gestes et dans son accent une brusquerie toute militaire.

— Si vous voulez autre chose que des frijoles au piment, de la cecina et les débris d’une vieille poule, vous pouvez passer votre chemin, répondit l’hôte.

Con mil diablos ! s’écrie le nouveau venu, ce sont mes trois mets de prédilection, et je m’arrête ici.

L’inconnu fit reculer son cheval avec une aisance parfaite jusqu’au-delà du seuil de la cabane, puis il sauta à terre, attacha l’animal à l’un des arbres poudreux qui formaient devant l’hôtellerie une sorte de chétive oasis, et rentra dans la cabane, portant sous son bras un magnifique sarape du Saltillo, qu’il déposa dans un coin. Ensuite il déchaussa ses éperons, ôta de sa ceinture une espèce de large cimeterre, et s’assit à côté de moi sur un banc de chêne dressé le long d’une table enfumée.

— Etes-vous de mon avis relativement au souper ? me demanda-t-il quand il se fut assis.

— Oui, à quelques scrupules près quant à l’âge de la poule.

— Bah ! avec de bonnes dents, on en viendra à bout, répondit mon commensal, et le gros rire qui écarta ses lèvres me laissa voir deux rangées de dents capables de broyer de l’or. Holà ! amigo, continua-t-il en se tournant vers l’un des dragons arrêtés devant la cabane, voulez-vous vous asseoir, trinquer avec moi, et me dire pour quelle cause vous battez la campagne à une heure si avancée ?

— Un escadron de notre régiment est en garnison pour quelques jours au village de Zapotlanéjo, et notre capitaine nous a ordonné d’aller camper cette nuit dans l’hacienda ruinée située près de la barranca del Salto.

— La barranca del Salto ! dit l’inconnu avec un mouvement de surprise, et c’est tout ce que vous savez du but de votre expédition ?

— Je sais encore, reprit le soldat, que six autres détachemens, de six hommes chacun, ont été envoyés dans des directions toutes différentes pour cerner les abords de Guadalajara ; voilà tout ce que je puis vous dire, et, si vous voulez en savoir plus long, adressez-vous au cabo que voici.

Le cabo ou brigadier, qui avait les cinq dragons sous ses ordres, entrait à l’instant même pour rappeler ses hommes et boire le coup de l’étrier. Le voyageur qui avait si familièrement questionné le dragon traita de même le cabo, et prévint son désir en lui versant à boire ; celui-ci n’eut garde de refuser. — À votre santé ! dit-il.

— À la vôtre ! répliqua l’inconnu. Et il adressa de nouveau au cabo sa question, déjà restée sans réponse, quant au but de l’excursion des dragons.