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nacelle est lestée, on la charge des approvisionnemens et des instrumens nécessaires. Pour connaître la direction du vent, on commence par lancer un petit ballon de soie verte de deux mètres de diamètre. Charles s’avance vers Étienne Montgolfier, tenant ce petit ballon à l’aide d’une corde, et il le prie de vouloir bien le lancer lui-même. — C’est à vous, monsieur, dit-il, qu’il appartient de nous ouvrir la route des cieux. — Le public comprit le bon goût et la délicatesse de l’allusion ; il applaudit ; le petit aérostat s’envola vers le nord-est, faisant reluire au soleil sa brillante couleur d’émeraude. Le canon retentit une seconde fois ; les voyageurs prennent place, et bientôt le ballon s’élève avec une majestueuse lenteur. L’admiration et l’enthousiasme éclatent alors de toutes parts ; des applaudissemens immenses ébranlent les airs ; les soldats rangés autour de l’enceinte présentent les armes, les officiers saluent de leur épée, et la machine continue de s’élever doucement au milieu des acclamations de trois cent mille spectateurs. Le ballon, arrivé à la hauteur de Monceau, resta un moment stationnaire ; il vira ensuite de bord, se retourna sur lui-même, et suivit la direction du vent. Il traversa une première fois la Seine entre Saint-Ouen et Asnières, la passa une seconde fois non loin d’Argenteuil, et plana successivement sur Sannois, Franconville, Eau-Bonne, Saint-Leu-Taverny, Villiers et l’Ile-Adam. Après un trajet d’environ neuf lieues, en s’abaissant et s’élevant à volonté au moyen du lest qu’ils jetaient, les voyageurs descendirent à quatre heures moins un quart dans la prairie de Nesles, à neuf lieues de Paris. Robert descendit du char, Charles repartit seul. En moins de dix minutes, il parvint à une hauteur de près de quatre mille mètres. Là il se livra à de rapides observations de physique. Une demi-heure après, le ballon redescendait doucement à deux lieues de son second point de départ. Charles fut reçu à sa descente par M. Farrer, gentilhomme anglais, qui le conduisit à son château, où il passa la nuit.

Le roi accorda le lendemain une pension de deux mille livres au savant et intrépide aéronaute. Il voulut en outre que l’Académie des Sciences ajoutât le nom de Charles à celui de Montgolfier sur la médaille qu’elle se proposait de consacrer au souvenir de l’invention des aérostats. Charles aurait dû avoir le bon goût ou la modestie de refuser cet honneur. Il avait sans nul doute perfectionné les aérostats et indiqué les moyens de rendre praticables les voyages atmosphériques, mais le mérite tout entier de l’invention consiste dans le principe que les Montgolfier avaient pour la première fois mis en pratique : la gloire de la découverte devait leur revenir sans partage.

Après cette ascension mémorable, qui porta si loin la renommée du Charles, on est étonné d’apprendre que ce physicien ne recommença jamais l’expérience. Comment le désir de féconder et d’étendre sa