Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/213

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ascension de Charles et Robert présenta des conditions toute différentes. Préparée avec maturité, calculée avec une rare intelligence, elle révéla tous les services que peut rendre dans un cas pareil le secours des connaissances scientifiques. On peut dire qu’à propos de cette ascension, Charles créa tout d’un coup et tout d’une pièce l’air de l’aérostation. En effet, c’est à ce sujet qu’il imagina la soupape qui donne issue au gaz hydrogène, et détermine ainsi la descente lente et graduelle de l’aérostat, — la nacelle où s’embarquent les voyageur ; — le filet qui supporte et soutient la nacelle, — le lest qui règle l’ascension et modère la descente, — l’enduit de caoutchouc appliqué sur le tissu du ballon, qui rend l’enveloppe imperméable et prévient la déperdition du gaz, — enfin l’usage du baromètre, qui sert à mesurer chaque instant, par l’élévation ou la dépression du mercure, les hauteurs que l’aéronaute occupe dans l’atmosphère. Pour cette première ascension, Charles créa donc tous les moyens, tous les artifices, toutes les précautions ingénieuses qui composent l’art de l’aérostation. On n’a rien changé et on n’a presque rien ajouté depuis cette époque aux combinaisons ingénieuses imaginées par ce physicien.

C’est au talent dont il fit preuve dans cette circonstance que Charles a dû de préserver sa mémoire de l’oubli. Quoique physicien très habile et très exercé, Charles n’a laissé aucun travail dans la science et n’a publié sur la physique. Seulement, il avait acquis, comme professeur, une réputation considérable. On accourait en foule à ses leçons. Les découvertes de Franklin avaient mis à la mode les expériences sur l’électricité ; Charles avait formé un magnifique cabinet de physique, et il faisait, dans une des salles du Louvre, des cours publics où tout Paris venait l’entendre. Son enseignement a laissé des souvenirs qui ne sont pas encore effacés. Il avait surtout l’art de donner à ses expériences une sorte de grandeur théâtrale qui étonnait toujours et frappait très vivement les esprits. S’il étudiait la chaleur rayonnante, il incendiait des corps à des distances extraordinaires ; dans ses démonstrations du microscope, il amplifiait les objets de manière à obtenir des grossissemens énormes ; dans ses leçons sur l’électricité, il foudroyait des animaux ; s’il voulait montrer l’existes ce de l’électricité libre dans l’atmosphère, il faisait descendre le fluide des nuages, et tirait de ses conducteurs des étincelles de dix pieds de long qui éclataient avec le bruit d’une arme à feu. La clarté de ses démonstrations, l’élégance de sa parole, sa stature élevée, la beauté de ses traits, la sonorité de sa voix, et jusqu’à sa mise étrange, composée d’un costume à la Franklin, tout ajoutait à l’effet de ses discours. C’est ainsi que le professeur Charles était parvenu à obtenir dans Paris une renommée immense. Aussi, lorsqu’au 10 août le peuple envahit les Tuileries et le Louvre, où il s’était logé, on respecta sa demeure et l’on