Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à cette proposition : « Eh quoi ! de vils criminels auraient les premiers la gloire de s’élever dans les airs ! Non, non, cela ne sera point. » Il conjure, il supplie, il remue la ville et la cour, il s’adresse aux personnes le plus en faveur à Versailles ; il s’empare de la duchesse de Polignac, gouvernante des enfans de France et toute-puissante sur l’esprit de Louis XVI. Celle-ci plaide chaleureusement sa cause auprès du roi. Le marquis d’Arlandes, gentilhomme de Languedoc, major dans un régiment d’infanterie, avait fait avec lui quelques ascensions préparatoires en ballon captif ; Pilâtre le dépêche vers le roi. Le marquis d’Arlandes proteste que l’ascension ne présente aucun danger, et, comme preuve de son affirmation, il offre d’accompagner Pilâtre dans son voyage aérien. Sollicité de tous les côtés, Louis XVI se rendit.

Le 21 novembre 1783, à une heure de I’après-midi, en présence du dauphin et de sa suite, rassemblés dans les beaux jardins de la Muette. Pilâtre des Rosiers et le marquis d’Arlandes exécutèrent ensemble le premier voyage aérien. Malgré un vent assez violent et un ciel orageux, la machine s’éleva rapidement. Arrivés à la hauteur de cent mètres, les voyageurs agitèrent leurs chapeaux pour saluer la multitude qui s’agitait au-dessous d’eux, partagée entre l’admiration et la crainte. La machine continua de s’élever majestueusement, et bientôt il ne fut plus possible de distinguer les nouveaux argonautes. On vit l’aérostat longer l’île des Cygnes et filer au-dessus de la Seine, jusqu’à la barrière de la Conférence, où il traversa la rivière. Il se maintenait toujours à une très grande hauteur, de telle manière que les habitans de Paris, qui accouraient en foule de toutes parts, pouvaient l’apercevoir du fond des rues les plus étroites. Les tours de Notre-Dame étaient couvertes de curieux, et la machine, en passant entre le soleil et le point qui correspondait à l’une des tours, y produisit une éclipse d’un nouveau genre. Enfin l’aérostat, s’élevant ou s’abaissant plus ou moins en raison de la manœuvre des voyageurs aériens, passa entre l’hôtel des Invalides et l’École militaire, et, après avoir plané sur les Missions étrangères, s’approcha de Saint-Sulpice. Alors les navigateurs, ayant forcé le feu pour quitter Paris, s’élevèrent et trouvèrent un courant d’air qui, les dirigeant vers le sud, leur fit dépasser le boulevard, et les porta dans la plaine, au-delà du mur d’enceinte, entre la barrière d’Enfer et la barrière d’Italie. Le marquis d’Arlandes, trouvant que l’expérience était complète et pensant qu’il était inutile d’aller plus loin dans un premier essai, cria à son compagnon : « Pied à terre ! Ils cessèrent le feu, la machine s’abattit lentement, et se reposa sur la Butte aux Cailles, entre le Moulin-Vieux et le Moulin des Merveilles. En touchant la terre, le ballon s’affaissa presque entièrement sur lui même. Le marquis d’Arlandes sauta hors de la galerie ; mais Pilâtre