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caractère ; il reproche à la Suisse d’avoir été particulièrement vis-à-vis de la France républicaine, à la fois ingrate et inhabile, en ne se hâtant pas assez de reconnaître le gouvernement proclamé le 24 février à l’Hôtel-de-Ville de Paris. L’égoïsme mercantile de la Suisse est assez rudement tancé à ce propos. Faut-il répondre à M. de Lamartine que cet égoïsme mercantile dont il parle avec tant de dédain n’entrait pour rien dans les résolutions prises par la diète suisse, qui ne s’était inspirée que du bon sens proverbial de la nation ? La Suisse avait, il est vrai, gardé des souvenirs assez pénibles de ce que lui avait valu la première république française, et elle ne se pressa pas trop de reconnaître formellement la seconde, tout en acceptant le fait accompli et en désirant de vivre dans les meilleurs termes avec son puissant voisin. L’historien de la révolution de février paraît d’ailleurs se faire une très fausse idée du rôle que pouvaient remplir les envoyés de la France en Suisse. En s’exagérant l’importance de ce rôle, il tombe dans une erreur qui a bien souvent entravé les efforts de la diplomatie française en Suisse de 1830 à 1847 : il suppose que la conduite personnelle, les conseils, les demi-mots d’un agent diplomatique, qui ont une grande portée dans les pays gouvernés par des princes absolus ou constitutionnels, peuvent exercer la même influence sur les chefs d’une démocratie, obligés de ne jamais perdre de vue les commettans dont ils exécutent les volontés. La méprise de M. de Lamartine porte sur le caractère même des institutions démocratiques de la Suisse, et, si elle est pardonnable aux ministres d’une monarchie, on peut moins l’expliquer chez l’historien d’une révolution démocratique : il y a là, en vérité, de quoi surprendre ceux qui se refuseraient encore à croire que les théories républicaines n’ont, chez beaucoup de leurs plus fervens admirateurs, ni des juges très éclairés ni des partisans très convaincus.

Quoi qu’il en soit, depuis qu’avait commencé pour l’Europe la crise révolutionnaire de 1848, la Suisse avait nettement tracé sa ligne de conduite vis-à-vis des gouvernemens voisins : elle n’avait sacrifié sa neutralité ni aux instances de l’Allemagne révolutionnaire ni aux prières des libéraux italiens. Elle eut encore à s’occuper d’un conflit dont les suites pouvaient la mettre aux prises avec une des premières dynasties de l’Allemagne : nous voulons parler de la révolution qui éclata à Neuchâtel au commencement de 1848. Une constitution républicaine y avait été proclamée, et l’envoyé de Prusse auprès du directoire fédéral avait protesté contre cet exercice de la souveraineté populaire au nom des traités de 1815. Cependant le roi de Prusse, dans une déclaration datée de Potsdam le 5 avril 1848, autorisa ses fidèles sujets à ne prendre conseil que de la situation et du bonheur de leur pays, sans se laisser arrêter par les liens qui les attachaient à lui ; il annonça de plus que des commissaires seraient nommés pour entrer