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l’air. En conséquence, il se décida à remplir le ballon avec le gaz inflammable ; mais cette opération elle-même n’était pas sans difficultés. L’air inflammable était encore un gaz à peine connu ; on ne l’avait jamais préparé que dans les cours publics et en opérant sur de très faibles quantités ; les savans eux-mêmes ne le maniaient pas sans quelque crainte à cause des dangers qu’il présente par son inflammabilité. Or, il fallait obtenir et accumuler dans un même réservoir plus de quarante mètres cubes de ce gaz. Néanmoins on se mit à l’œuvre ; on s’établit dans les ateliers des frères Robert, situés près de la place des Victoires. Il fallait, pour la première fois, imaginer et construire les appareils nécessaires à la préparation et à la conservation des gaz. Beaucoup de dispositions différentes furent essayées sans trop de succès ; enfin, pour procéder à la formation et au dégagement du gaz, on disposa l’appareil de la manière suivante : on prit un tonneau dans lequel on plaça de l’eau et de la limaille de fer ; le fond supérieur de ce tonneau était percé de deux trous ; l’un donnait passage à un tube de fer-blanc qui amenait le gaz dans l’intérieur du ballon ; l’autre était simplement fermé par un bouchon, pour ajouter successivement et par petites portions l’acide sulfurique qui devait donner naissance au gaz hydrogène par sa réaction sur le fer. On voit, d’après cette disposition grossière, combien on était encore peu avancé, à cette époque, dans l’art de manier les gaz, et on comprend quels obstacles il fallut surmonter avant d’atteindre au but définitif. Il nous suffira de dire que, pour obtenir la quantité de gaz inflammable qui devait remplir ce ballon, on employa mille livres de fer et cinq cents livres d’acide sulfurique. Trois jours furent employés au dégagement de l’hydrogène. Le quatrième jour, le ballon, aux deux tiers rempli de gaz, flottait dans l’atelier des frères Robert.

Cependant le public avait connaissance de l’opération qui s’exécutait place des Victoires ; on se pressait en foule aux portes de la maison. Il fallut requérir l’assistance du guet pour contenir l’impatience des curieux. Le 27 août, tout se trouvant disposé pour l’expérience, on s’occupa de transporter la machine au Champ-de-Mars, où devait s’effectuer l’ascension. Pour éviter l’encombrement des curieux, la translation se fit avant le jour. La machine, portée sur un brancard, s’avançait précédée de torches, escortée par un détachement du guet. L’obscurité de la nuit, la forme étrange et inconnue de ce globe immense, qui s’avançait lentement à travers les rues silencieuses, tout prêtait à cette scène nocturne un caractère particulier de mystère et d’étrangeté, et l’on vit sur la route des hommes du peuple, se rendant à leurs travaux, s’agenouiller devant le cortége, saisis d’une sorte de superstitieuse terreur. À trois heures, une foule immense se portait au Champ-de-Mars, la place était garnie de troupes, les avenues gardées