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près de nous sur leurs ancres ; une ou deux lumières brillaient au fond du village ou aux meurtrières de la vieille forteresse qui garde l’île. Sur la rive, un groupe d’hommes assis en cercle chantaient à l’unisson des paroles en une langue inconnue qu’accompagnait une flûte de roseau, tandis que le tambourin et de grandes crotales en fer marquaient la mesure de cette musique sauvage, mais non sans grace et sans caractère. Un autre groupe dansait : c’étaient de malheureux esclaves noirs que les danses nationales et les chansons de leur pays consolaient de leurs rudes labeurs.

Comme, pendant toute cette terrible journée, nous n’avions eu que du pain pour toute pitance, et que nous n’avions promis à aucun saint de nous résigner à la même chère, nous prîmes nos fusils, et nous nous fîmes conduire à terre. À cinquante pas de notre mouillage, une langue de sable empiétait sur les eaux de la rade. Dans un précédent séjour de près d’un mois à Camaran, nous avions eu l’occasion de remarquer que cette presqu’île en miniature est, tant que le flot monte, la retraite d’innombrables volées de tourne-pierre, de court-vite, de bécasseaux, etc. Deux coups de fusil, tirés à raser la terre, firent s’envoler tous ces pauvres oiseaux, dont l’effroi se traduisit par de longs cris, et nous courûmes ramasser nos victimes. Nous eûmes à rejeter quelques mouettes coupables de s’être trouvées en trop bonne compagnie, elle reste, plumé, frotté d’un peu de beurre, et disposé le long d’une baguette, fut cuit à point en quelques minutes. Il avait été convenu que nous ne ferions qu’un seul et même repas du déjeuner et du dîner, et l’air de la mer ayant singulièrement aiguisé notre appétit, toute notre chasse y passa Il y a plus : afin de n’avoir pas à partager avec les matelots, nous nous étions bien gardés de vider un seul de nos oiseaux. Aussi ceux des marins de l’équipage qui venaient épier nos apprêts culinaires, nous voyant recueillir soigneusement le sang et les intestins de notre gibier sur une tranche de pain couverte de beurre, s’en allaient en murmurant : Inhal Dinkom (que Dieu damne votre religion) ! Ces viandes étaient pour eux quelque chose d’horriblement impur. Pour les consoler, nous promîmes de leur tuer, à la première occasion, un pélican à chair huileuse et dure.


II

L’équipage dut consacrer la journée du lendemain à boucher une voie d’eau qui eût suffi à nous faire couler en vingt-quatre heures. Il en existait bien une foule d’autres ; mais le patron nous assura que ces avaries étaient d’une moindre gravité, et qu’en ayant le soin d’assécher la barque à peu près continuellement, nous pourrions arriver à Masswah sans encombre.