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les loisirs que lui laissait la politique et presque toutes les ressources de sa liste civile. Lui-même il a discuté et tracé le plan de toutes les salles, de toutes les galeries, qui contiennent plus de quatre mille tableaux ou portraits et environ mille œuvres de sculpture. Il a désigné lui-même la place qui devait être attribuée à chaque époque, à chaque personnage. Dans ce vaste classement de tous les souvenirs glorieux pour le pays, le royal ordonnateur ne reculait devant aucun acte de l’impartialité même la plus fondée. Du haut d’un esprit libre de toutes passions et de tous préjugés, Louis-Philippe décida, dès le début, que tout ce qui était national devait être mis en lumière, que tout ce qui était honorable devait être honoré. Les témoins nombreux ne manquaient pas aux visites royales, et les témoins restaient souvent étonnés de ces décisions fort supérieures à la sphère d’une politique vulgaire et égoïste. Le roi avait coutume d’exprimer tout haut sa pensée, donnant ses ordres devant les nombreux ouvriers occupés aux travaux du palais, comme devant les fonctionnaires de tous rangs qui l’accompagnaient dans chacune de ses visites. C’est ainsi que beaucoup de personnes se rappellent encore le jour de l’année 1833 où Louis-Philippe désigna plusieurs salles destinées à recueillir, avec les portraits de Louis XVIII et de Charles X, les souvenirs glorieux de la restauration. Quelques mois à peine s’étaient écoulés depuis l’insurrection de la Vendée. Une prudence bien naturelle lui donnait des conseils d’abstention ou d’ajournement ; on lui rappelait la fureur populaire, naguère encore si ardente à se ruer sur des emblèmes historiques qui avaient eu aussi leur part de la gloire française. « Non, répondit le roi, je ne reculerai pas devant la passion populaire, et je la ferai taire en la bravant. » Les salles de la restauration furent ouvertes ; la passion s’inclina et se tut.

La haute impartialité du roi Louis-Philippe ne s’appliquait pas seulement aux époques anciennes ou récentes de nos annales : c’est avec la même liberté d’esprit qu’il faisait la part de son propre règne. Nous reproduisons encore ici textuellement sa pensée et ses paroles profondément gravées dans nos souvenirs et recueillies par d’autres témoins fidèles.

Dans la pensée d’élever, en le ranimant, le travail des manufactures des Gobelins et de Beauvais, le roi avait décidé que plusieurs salles des palais de la couronne seraient entièrement décorées de tentures et de tapisseries dues à l’art savant de leurs ouvriers. À cet effet, deux peintres[1], connus par de belles œuvres, furent chargés, comme autrefois Van der Meulen et Lebrun, de préparer des cartons-modèles. L’une des salles était réservée au règne de Louis-Philippe : les deux artistes avaient choisi, pour en consacrer la mémoire, les victoires remportées

  1. M. Couder, membre de l’Institut, et M. Alaux, directeur de l’école de Rome.