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recevant ni capital ni intérêts, s’adressa à l’administration de la liste civile, et réclama le bénéfice de la garantie souscrite par le roi. L’intendant général se retrancha dans le droit commun, en vertu duquel une caution ne peut et ne doit être poursuivie qu’après la discussion du débiteur principal. Bientôt ce principe, admis en général par la Banque pour les cautions ordinaires, mais contesté par elle dans le cas de la garantie royale, telle qu’elle l’entendait, fut admis et consacré par les tribunaux. Il ne restait plus à la Banque qu’à poursuivre son débiteur, et les poursuites allaient commencer. Le péril était aussi menaçant que celui des derniers mois de 1830 ; la faillite de M. Laffitte semblait inévitable et prochaine. À des créances pressantes et toutes exigibles, il ne pouvait offrir qu’un actif de propriétés foncières dépréciées, d’actions alors sans valeur, et de recouvremens à long terme plus ou moins discutables. Le roi n’ignorait pas cette situation, qui n’avait d’ailleurs rien de secret pour l’opinion publique.

C’était en 1834. Devenus, antérieurement déjà, les adversaires passionnés de la politique du roi, MM. Laffitte et Audry de Puyraveau s’étaient bientôt rangés parmi les ennemis déclarés de la royauté de juillet. M. Laffitte, pour sa part, avait déjà demandé pardon à Dieu et aux hommes de ce qu’il avait fait pour elle. Le souvenir des bienfaits passés aurait bien pu, dans sa légitime amertume, dresser une barrière infranchissable entre le cœur de Louis-Philippe et la détresse de M. Laffitte : il n’en fut rien, et le roi, qui, de tous les rois, a le plus souvent pardonné, donna l’ordre à l’intendant général de la liste civile de tout faire pour sauver son ancien ministre. À la suite de laborieuses conférences avec les fonctionnaires supérieurs de la Banque, l’intendant général conclut enfin une convention par laquelle, moyennant un dernier paiement consenti par le roi aux lieu et place de M. Laffitte, la Banque s’obligeait à accorder tous les délais convenables à son débiteur pour la réalisation des diverses valeurs composant son actif. Le roi paya donc encore à la Banque 1,200,000 fr. Cette somme, réunie à celle de 300,000 francs d’intérêts déjà payés pour lui en mars 1832, portait au chiffre total de 1,500,000 fr. le nouveau sacrifice accompli par une sollicitude supérieure à toutes les passions du cœur humain. C’est ainsi qu’il a été donné à M. Laffitte de terminer avec calme et profit une liquidation qui, sans l’aide de la générosité royale, eût été deux fois sa ruine.

En racontant pour la première fois de tels faits dans tous leurs détails, loin de nous la pensée d’exhaler un ressentiment que désavouerait la tombe de Weybridge ! Dans un récit destiné à dégager des nuages de la calomnie la figure de Louis-Philippe, les noms de MM. Laffitte et Audry de Puyraveau prenaient naturellement leur place. La moralité historique explique ici les préférences de notre mémoire pour de bienfaits voués d’avance aux honneurs de l’ingratitude.