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autour d’elle ; seulement elle ne doit aborder les questions agitées dans les grands états que pour les traiter à sa façon et les résoudre dans la mesure de ses forces, dans le cadre de ses institutions. Telle est la mission que la Suisse a déjà eu plus d’une fois occasion de remplir, et l’Europe même a pu souvent reconnaître dans les crises intérieures de la république helvétique comme une révélation de ses propres destinées. Les révolutions de Genève ont précédé, on le sait, la première révolution française, et les crises qui ont désolé la Suisse de 1841 à 1847 ont en quelque sorte annoncé la tourmente européenne de 1848.

Dominée et protégée dans ses relations extérieures par le principe de neutralité, la Suisse trouve pour son gouvernement intérieur une base non moins solide dans le principe d’équilibre fédéral. Avant la révolution française, les intérêts communs des cantons alliés étaient trop sacrifiés à leurs intérêts particuliers ; c’était cette cause d’affaiblissement qui facilita le triomphe de l’agression française de 1798. À l’excès des influences locales succéda alors l’excès du principe unitaire ; mais cette nouvelle constitution, incompatible avec les traditions et les intérêts de la Suisse, ne put se maintenir que par la force des armes françaises. L’acte de médiation du 19 février 1803 substitua heureusement à ce régime défectueux un régime basé sur les vrais principes du fédéralisme. En un nouveau pacte fédéral détruisit cette œuvre d’une si haute sagesse, et rendit aux influences locales une fâcheuse prépondérance. La souveraineté cantonale devait tôt ou tard abuser de la part excessive qu’on lui avait faite, et en effet, dès qu’éclata en France la révolution de 1830, on vit s’ouvrir pour la Suisse une ère de révolutions partielles qui est venue aboutir récemment à la révision du pacte fédéral. Cette fois, le principe du fédéralisme modéré a de nouveau presque complètement triomphé ; c’est ce principe qui avait déjà dicté l’acte de médiation, et ce qu’on connaît de son heureuse influence dans le passé fait bien augurer de l’avenir du nouveau pacte que s’est donné la Suisse.

Enfin le rôle que jouent le principe de neutralité dans les affaires extérieures et le principe d’équilibre fédéral dans les questions intérieures de la Suisse, le principe de libéralisme conservateur est appelé à le remplir dans les questions cantonales. Bien que ce principe n’ait pas encore au même degré que les deux autres la sanction de l’histoire, il a déjà, sur quelques points, donné des gages suffisans de sa vitalité. Appliqué à la réorganisation des gouvernemens cantonaux, à l’extinction des partis extrêmes, il a rendu, il peut rendre encore d’inappréciables services. Depuis deux ans, il a repris dans quelques cantons un ascendant salutaire, qui s’étendra, il faut l’espérer, à toutes les parties de la Suisse.