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et du vrai, mais pour nous jeter hors des voies battues. Ce sont proprement vices d’esprits faussés et d’ames blasées. M. Michelet nous a expliqué un jour notre maladie, non sans en fournir un nouveau témoignage. « Tel, dit-il, qui a beaucoup senti et qui, à la longue, trouve le monde uniforme et fade cherche volontiers dans le mélange des idées contraires je ne sais quelle âcre saveur. J’ai vu à Venise un tableau où, sur un riche tapis sombre, une belle rose se fanait près d’un crâne, et dans le crâne errait à plaisir une gracieuse vipère. » Cette gracieuse vipère ne vous semble-t-elle pas le symbole de bien des imaginations contemporaines ? Peut-être est-il dans la nature des civilisations complexes d’entretenir ces penchans : les révolutions surtout viennent leur imprimer une redoutable intensité, par les épreuves auxquelles elles soumettent l’intelligence et la moralité humaines, par les atteintes qu’elles portent aux notions réelles des choses, et par cette confusion de sentimens et d’idées qu’elles laissent après elles. Il vient véritablement une heure où, à force de surexcitations, d’essais inutiles, de controverses infécondes, le vrai, le simple et le juste cessent d’être l’ame et le secret ressort des combinaisons politiques comme des conceptions littéraires. La rectitude et le mâle bon sens cessent d’être le lest des intelligences. Il ne reste qu’une passion debout, — cette démangeaison de nouveautés dont parle Bossuet, un besoin ardent de travestissemens irritans et d’impurs mélanges. Les idées et les opinions prennent d’étranges figures, même chez ceux qui se croient séparés des influences révolutionnaires par un dogme ou par un principe. Le droit divin s’habillera de démocratie et de souveraineté du peuple. Il nous était réservé, à ce qu’il semble, d’avoir en perspective des monarchies catholiques, démocratiques et socialistes. Et véritablement ce goût de l’extraordinaire et du bizarre n’a-t-il pas franchi parfois le seuil du temple lui-même ? N’avez-vous point entendu de ces paroles qui se proclamaient volontiers « singulières, moitié philosophiques, moitié religieuses, » et qui se plaisaient à errer « sur les confins de la terre et du ciel ? » Ou bien encore vous verrez des mains légères broder de pittoresques ornemens les légendes sacrées et illustrer l’Histoire de la Vierge. Il y a ainsi comme une forte et mâle simplicité inhérente à cette grande doctrine chrétienne qui n’a point toujours été assez bien défendue par quelques-uns de ceux qui en étaient les gardiens naturels. Nous avons eu, pour tout dire, un romantisme chrétien à côté de toute sorte de romantismes.

Faut-il s’étonner ensuite que de ce fond inquiet et troublé naissent en même temps les caprices déréglés, les creuses synthèses historiques et sociales, les trinités mystagogiques et ces accès de religiosité vague qui sont les défaillances du sentiment religieux réel et ne se manifestent que par une passion âcre de profanation, par d’impossibles amalgames des élémens les plus contraires ? C’est le propre des temps où l’anarchie morale et le fanatisme de l’abstraction se réunissent pour hébéter les ames. Qu’une puérilité de profanation vienne à éclore dans quelques imaginations perverties, elle se change en système progressif et social. Là est le cachet particulier de ce mélange de christianisme et de révolution qui est devenu une des formes distinctes du socialisme contemporain. Si l’on regarde de près pourtant ce christianisme révolutionnaire, chacune de ses prétentions historiques ou philosophiques ne reçoit-elle pas le plus sanglant démenti ? — Il se rattache à l’ère révolutionnaire pure comme à