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qu’il faut chercher la raison de l’obscurité qui souvent nous voile une partie de sa pensée. En France, nous sommes habitués à croire que la langue toscane est la langue italienne par excellence. Cela est vrai, si l’on veut parler de la langue créée en Toscane par les trecentisti, c’est-à-dire au XIVe siècle ; mais si l’on veut parler de la langue employée familièrement par les Florentins, c’est une méprise positive. Quoique la langue de Florence soit plus pure que la langue de Rome et de Naples, elle n’est pourtant pas à l’abri de tout reproche ; et pour qu’on ne m’accuse pas de présomption, je me hâte de placer ce que j’avance sous le patronage du plus illustre des Florentins. Dante, dans son traité sur la langue vulgaire, c’est-à-dire sur la langue italienne, dit formellement que le toscan n’a pas le droit de s’attribuer une supériorité absolue sur les autres dialectes de l’Italie. Je ne crois pas que personne songe à récuser le témoignage, à contester l’autorité d’un tel juge.

La seule question que nous puissions résoudre par nous-même est la question littéraire envisagée d’une façon générale, c’est-à-dire abstraction faite des détails philologiques. Or je ne crois pas que le nom de Giusti garde long-temps sa popularité. Ses œuvres, bien qu’elles ne se recommandent ni par la nouveauté des conceptions, ni par l’éclat du style, ni par la puissance de l’imagination, ont exercé sur son pays une action qu’il est impossible de contester ; mais cette action, dont le souvenir n’est pas effacé, est toute politique. Les principes que Giusti a défendus, malgré leur grandeur, leur sainteté, ne suffiront pas pour assurer une longue durée à son nom. Il manque à ses ouvrages ce qui seul peut fonder les solides renommées, l’élégance, la pureté du style. En parlant ainsi d’un poète étranger, je ne crains pas de m’exposer au reproche de légèreté. J’exprime franchement l’impression que j’ai reçue, mon opinion s’est formée par une lecture attentive, et je crois que, parmi les compatriotes de Giusti, le mérite littéraire de ses œuvres ne sera jamais sérieusement affirmé. Je sais qu’il faut toujours parler des poètes étrangers avec une grande réserve, que bien des nuances nous échappent nécessairement ; cependant je ne puis pousser la défiance de moi-même jusqu’à révoquer en doute la réalité des sentimens que j’éprouve. Or, la lecture de Giusti n’a jamais produit en moi une de ces émotions profondes dont le génie a seul le secret. Il me semble donc que je puis sans présomption dire que Giusti n’est pas un poète de génie. Est-il permis de voir en lui un poète d’un talent très pur ? Je ne le crois pas. Le talent de Giusti ne va pas au-delà d’une improvisation ingénieuse. Pourtant il lui est arrivé quelquefois de vouloir donner à sa pensée une forme plus précise ; mais ce louable projet ne s’est jamais pleinement accompli. Lorsqu’on découvrit en 1840 le portrait de Dante par Giotto sur la muraille d’un vieux palais qui sert